L’Organisation des États américains présente une ambitieuse feuille de route de quatre ans pour sortir Haïti de sa spirale de violence. Entre sécurité, élections et aide humanitaire, ce plan pharaonique peut-il vraiment changer la donne ?
Face à l’effondrement sécuritaire qui étouffe Haïti, l’OEA sort l’artillerie lourde. Albert Ramdin, le secrétaire général de l’organisation, a dévoilé mercredi une feuille de route de 2,6 milliards de dollars étalée sur quatre ans (2025-2028). Un montant colossal qui équivaut à plus de deux fois le budget annuel de l’État haïtien, mais qui reflète l’ampleur du défi à relever dans un pays où les gangs contrôlent 90% de la capitale.
Cette nouvelle mouture corrige le tir du premier draft en accordant la priorité absolue à la sécurité, avec 1,336 milliard de dollars dédiés à la stabilisation – soit plus de la moitié de l’enveloppe totale.
La sécurité d’abord : 1,3 milliard pour reprendre le contrôle
Le message est clair : sans sécurité, pas de développement possible. Avec plus de 5 600 morts en 2024 et des gangs qui font la loi dans presque toute la région métropolitaine, l’OEA a compris qu’il fallait d’abord éteindre l’incendie avant de reconstruire la maison.
Cette enveloppe de 1,336 milliard vise plusieurs objectifs ambitieux : sécuriser les corridors stratégiques et les infrastructures vitales (imaginez pouvoir circuler librement entre l’aéroport et le centre-ville !), reconstruire une Police nationale haïtienne digne de ce nom, réformer un système judiciaire à l’agonie, et surtout, démanteler ces économies criminelles qui gangrènent le pays.
Pour les Haïtiens qui vivent cloîtrés chez eux ou qui ont fui vers la diaspora, c’est l’espoir de retrouver un jour une vie normale dans leur propre pays.
Une aide humanitaire massive : 908 millions pour les urgences
Pendant que les forces de sécurité s’attèleront à reprendre le terrain, l’aide humanitaire ne sera pas oubliée. Avec 908,2 millions de dollars, ce volet représente plus du tiers du budget total.
Les chiffres donnent le vertige : 4,7 millions d’Haïtiens en insécurité alimentaire aiguë, plus de 60% sans accès à l’eau potable, moins de 25% des établissements de santé fonctionnels dans les zones critiques. C’est une population entière qui survit plus qu’elle ne vit.
Cette enveloppe couvrira l’alimentation d’urgence, l’accès à l’eau potable, les soins de santé de base, l’éducation et le logement pour les 1,3 million de déplacés internes – dont un quart sont des enfants.
Élections et gouvernance : préparer l’après-transition
Avec 104,1 millions de dollars, le volet électoral peut sembler modeste comparé aux urgences sécuritaires et humanitaires. Mais c’est un investissement crucial pour l’avenir : il s’agit de soutenir le Conseil électoral provisoire et l’Office national d’identification pour organiser enfin des élections crédibles.
Car la question reste entière : que se passera-t-il après le 7 février 2026, date butoir du mandat du Conseil présidentiel de transition ? Sans élections légitimes, Haïti risque de replonger dans un vide institutionnel encore plus profond.
L’OEA mise également 8 millions sur le dialogue politique et la gouvernance, notamment pour accompagner le processus vers une nouvelle constitution. Un montant symbolique qui reflète peut-être la difficulté d’acheter le consensus politique…
Un plan « made in Haiti » mais financé par l’étranger
L’OEA insiste sur le fait que cette feuille de route est « menée par Haïti ». Une formule diplomatique qui cache mal une réalité : ce sont encore les partenaires internationaux qui décident et financent l’avenir du pays.
La structure de gouvernance prévue associe certes les autorités haïtiennes, mais dans un mécanisme tripartite dominé par l’OEA, l’ONU et la CARICOM. Pour beaucoup d’Haïtiens, c’est le refrain habituel d’une souveraineté de façade.
« Aucun pays ne devrait avoir à supporter seul la facture », déclare Albert Ramdin. Traduction : Haïti dépendra encore longtemps de la générosité internationale pour survivre.
Les défis d’un plan pharaonique
Si les intentions sont louables, l’histoire récente d’Haïti est jalonnée de plans ambitieux qui ont fini aux oubliettes. Souvenons-nous du plan de reconstruction post-séisme de 2010, qui devait mobiliser des milliards mais dont les résultats concrets restent questionnables.
Plusieurs défis majeurs se dressent devant cette nouvelle tentative :
Le financement : 2,6 milliards, c’est énorme. Qui paiera réellement ? Les bailleurs de fonds internationaux, déjà sollicités sur tous les fronts, suivront-ils ?
La coordination : avec l’OEA, l’ONU, la CARICOM, la BID et autres organisations, le risque de cacophonie est réel. Qui dirigera vraiment les opérations sur le terrain ?
La durabilité : que se passera-t-il après 2028 ? Ce plan ne risque-t-il pas de créer une dépendance encore plus forte à l’aide internationale ?
L’équation impossible de la reconstruction
Cette feuille de route pose une question fondamentale : peut-on vraiment reconstruire un État de l’extérieur ? Pour les millions d’Haïtiens qui ont perdu espoir en leurs institutions, ce plan représente peut-être la dernière chance avant l’effondrement total.
Mais pour la diaspora haïtienne, qui envoie chaque année plus d’argent au pays que tous les plans d’aide réunis, il faut plus que des milliards pour redonner envie de rentrer au pays. Il faut une vision, un leadership authentique et surtout la conviction que cette fois, ce sera différent.
Rendez-vous donc en 2028 pour voir si cette énième tentative aura réussi à briser le cercle vicieux dans lequel Haïti semble enfermé depuis des décennies. En attendant, les gangs continuent de dicter leur loi dans les rues de Port-au-Prince.