Après des mois de silence, Fritz Jean du Conseil Présidentiel confirme officiellement la présence de soldats privés étrangers en Haïti. Une révélation qui inquiète les défenseurs des droits humains et pose des questions sur la souveraineté nationale.
Le secret n’en était plus vraiment un, mais maintenant c’est officiel : des mercenaires étrangers opèrent bel et bien en Haïti pour combattre les gangs armés. Fritz Alphonse Jean, coordonnateur du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), a fini par confirmer ce que beaucoup soupçonnaient déjà lors d’une entrevue accordée à des journalistes haïtiens.
Cette admission marque un tournant dans la stratégie anti-gangs du gouvernement, mais soulève également de nombreuses questions sur les implications de cette décision pour l’avenir du pays.
Un aveu tardif mais sans détails
Le silence est enfin brisé, mais les zones d’ombre persistent. Fritz Jean s’est contenté de confirmer la présence de ces soldats privés sans fournir le moindre détail sur les aspects cruciaux de cette opération : combien coûte cette intervention ? Quelle société de sécurité a été engagée ? Quelles sont les règles d’engagement de ces mercenaires ?
Pour nos compatriotes qui suivent l’actualité depuis l’étranger, cette opacité rappelle les mauvaises habitudes de l’État haïtien en matière de transparence. Comment peut-on engager des forces armées privées sur notre territoire sans informer le peuple qui paie la facture ?
« Une solution à double tranchant »
Les organisations de défense des droits humains ne cachent pas leur inquiétude. Darbensky Gilbert, coordonnateur général de l’Ordre des défenseurs des droits humains (ORDEDH), parle d’une « solution à double tranchant et un risque inacceptable ».
Cette méfiance n’est pas sans fondement. L’histoire récente de l’Afrique et du Moyen-Orient nous enseigne que l’intervention de mercenaires peut rapidement dégénérer. Ces soldats privés, qui ne rendent compte qu’à leurs employeurs, échappent souvent aux règles du droit international humanitaire.
Des interrogations légitimes
La Fondasyon Je Klere, basée à Port-au-Prince, soulève des questions essentielles : quelles sont les obligations de ces agents étrangers ? Comment minimiser les risques de dommages collatéraux pour la population civile ? Ces préoccupations sont d’autant plus légitimes que les opérations anti-gangs se déroulent souvent dans des zones densément peuplées.
Pour les familles qui vivent dans les quartiers contrôlés par les gangs, l’arrivée de ces mercenaires peut représenter un espoir de libération. Mais elle peut aussi signifier une escalade de la violence, avec des conséquences imprévisibles pour les civils pris entre deux feux.
L’enjeu de la souveraineté nationale
Au-delà des considérations sécuritaires, cette décision pose une question fondamentale : que dit-elle de notre souveraineté nationale ? Quand un État fait appel à des mercenaires étrangers pour maintenir l’ordre sur son territoire, cela témoigne-t-il d’un échec des institutions nationales ?
Nos compatriotes de la diaspora, qui ont souvent servi dans les forces armées de leurs pays d’adoption, comprennent mieux que quiconque l’importance d’avoir des forces de sécurité nationales fortes et respectées. Le recours aux mercenaires peut être perçu comme un aveu d’impuissance.
Des précédents inquiétants
L’utilisation de mercenaires n’est pas nouvelle dans la région. En Afrique, des sociétés comme Wagner ont laissé des traces controversées. Au Mali, en République centrafricaine ou au Mozambique, l’intervention de ces forces privées s’est souvent accompagnée de violations des droits humains et d’une déstabilisation à long terme.
Haïti court-il le risque de devenir un nouveau terrain d’expérimentation pour ces sociétés militaires privées ? C’est la crainte exprimée par de nombreux observateurs.
L’urgence d’un débat national
Cette révélation tardive souligne l’urgence d’un véritable débat national sur la stratégie sécuritaire du pays. Le peuple haïtien a le droit de savoir qui combat en son nom, avec quels moyens et selon quelles règles.
Les parlementaires, s’ils étaient encore en fonction, auraient normalement exigé des explications détaillées. En leur absence, c’est à la société civile et aux médias de jouer ce rôle de contrôle démocratique.
L’aveu de Fritz Jean ouvre une boîte de Pandore. Si l’intention de lutter contre les gangs est louable, les moyens choisis interrogent. Haïti a-t-elle vraiment besoin de mercenaires pour retrouver la paix ? Ou cette solution ne fait-elle que repousser le problème en créant de nouveaux risques ? Une chose est sûre : le peuple haïtien mérite d’être informé des décisions qui engagent son avenir. Car comme dit le proverbe : « Se nan nwa yo wè zetwal yo » – c’est dans l’obscurité qu’on voit les étoiles. Il est temps de faire la lumière sur cette affaire.