L’ancien président provisoire sort de son silence et dénonce vertement l’avant-projet constitutionnel. Pour lui, les autorités actuelles n’ont ni la légitimité ni le droit de toucher à la loi fondamentale de 1987.
Dans les couloirs du pouvoir haïtien, les mots de Jocelerme Privert font l’effet d’une bombe. L’ancien président provisoire, connu pour sa rigueur et sa maîtrise des arcanes constitutionnels, n’a pas mâché ses mots lors de son passage à l’émission « Le Rendez-vous » avec Volcy Assad ce vendredi 11 juillet. Son message est clair : le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) outrepasse ses prérogatives et s’expose à des poursuites judiciaires.
Un refus catégorique après analyse
Contrairement à ceux qui critiquent sans lire, Privert a pris le temps d’étudier l’avant-projet. Il a même rencontré les principaux acteurs du dossier : Enex Jean-Charles, président du comité de pilotage, et le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé. Le verdict est sans appel : « Je leur ai fait part de ma déception, mon inconfort. Je leur ai fait part de mon refus. »
Cette démarche méthodique de l’ancien sénateur de la République rappelle l’importance du débat éclairé dans la tradition démocratique haïtienne. Pour les Haïtiens de la diaspora qui suivent ces développements depuis l’étranger, cette posture tranche avec l’improvisation politique souvent reprochée aux dirigeants du pays.
Une réforme qui « empirera » la gouvernance
Si Privert reconnaît que la constitution de 1987 mérite d’être « revisitée » après 38 ans, il estime que l’avant-projet proposé rate complètement sa cible. « Ce n’est pas le texte en circulation qui va améliorer la gouvernance du pays. Il va l’empirer », assène-t-il.
L’ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités territoriales s’attaque particulièrement à la proposition de transformer toutes les sections communales en communes. Avec sa précision de fiscaliste, il démontre l’absurdité économique de cette mesure : « Cuba et la République dominicaine, deux pays dont la superficie dépasse 100 000 m², n’ont pas plus que 170 communes. Avec cet avant-projet, nous aurons 800 communes. »
Le calcul est implacable : les 150 communes actuelles se partagent 1 milliard 900 millions de gourdes de recettes fiscales. « Divisez ce chiffre par 150, vous verrez le montant. Ensuite divisez ce même montant par 800. Vous verrez », lance-t-il, laissant chacun mesurer l’ampleur du défi financier.
La question brûlante de la légitimité
C’est là que Privert touche au cœur du problème politique haïtien. « Est-ce que cette administration a la compétence suffisante pour changer cette constitution ? », interroge-t-il. Une question qui résonne particulièrement chez les Haïtiens attachés au respect des institutions.
L’ancien président de l’Assemblée nationale rappelle un fait juridique fondamental : les membres du CPT ont juré de « respecter la constitution et la faire respecter » lors de leur installation au Palais national. Selon l’article 21 de la constitution, violer ce serment constitue un crime de haute trahison passible de la haute cour de justice.
« Quel article de la constitution leur donne le droit de la changer ? », s’interroge Privert, pointant du doigt ce qu’il considère comme une violation flagrante de la loi fondamentale.
Un précédent qui interpelle
L’expérience de Privert en 2016 prend aujourd’hui une résonance particulière. Malgré les défis sécuritaires et les ravages du cyclone Matthew, il avait réussi à organiser des élections crédibles qui ont porté Jovenel Moïse au pouvoir. Quand Volcy Assad lui demande s’il est possible d’organiser des élections « même avec cette insécurité », sa réponse est révélatrice : « Tu penses qu’il n’y avait pas de l’insécurité quand j’étais président ? »
Cette référence à son bilan rappelle aux Haïtiens, qu’ils soient au pays ou à l’étranger, qu’il est possible de surmonter les obstacles avec de la volonté politique et une vision claire.
L’impasse constitutionnelle
Privert souligne un paradoxe juridique : seuls le parlement et l’exécutif légitime peuvent modifier la constitution. Or, « il n’existe plus de parlement et l’exécutif actuel n’est pas légitime. » Cette situation place le pays dans une impasse constitutionnelle préoccupante.
L’ancien dirigeant, bien qu’opposé à la formule du CPT depuis le début, nuance sa position : « Je suis contre cette formule mais personne ne devrait souhaiter son échec parce que son échec est celui du pays en entier. »
Les déclarations de Jocelerme Privert soulèvent des questions fondamentales sur l’avenir institutionnel d’Haïti. Alors que le pays traverse une crise sécuritaire et politique sans précédent, le débat constitutionnel révèle les tensions profondes sur la légitimité du pouvoir. Pour les Haïtiens qui espèrent un retour à la stabilité, ces enjeux juridiques ne sont pas que des querelles d’experts : ils détermineront la forme que prendra la démocratie haïtienne de demain. La promesse de remettre le pays à des élus le 7 février 2026 semble de plus en plus utopique face à ces obstacles constitutionnels.