Les États-Unis sortent de leur réserve diplomatique habituelle pour défendre ouvertement le Conseil présidentiel de transition contre les « tentatives de corruption ». Un avertissement sans précédent qui tombe à point nommé avant la passation de pouvoir au sein du CPT.
Un tweet qui fait du bruit
Rarement le département d’État américain s’exprime avec autant de fermeté sur les affaires internes haïtiennes. Vendredi 1er août, le bureau des affaires de l’hémisphère occidental a publié un message sans équivoque sur X : « Nous demanderons des comptes à quiconque chercherait à perturber cette coopération » entre le CPT et le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé.
Ce positionnement américain, inhabituel par son ton direct, intervient dans un contexte de tensions palpables au sommet de l’État haïtien. Pour nos compatriotes qui suivent la politique depuis Brooklyn, Montréal ou même depuis les quartiers de Port-au-Prince, ce message ressemble à un ultimatum déguisé.
Un timing révélateur
L’intervention américaine n’est pas fortuite. Elle survient six jours seulement avant que Laurent St Cyr, représentant du secteur privé, ne prenne la coordination du CPT, succédant à Fritz Alphonse Jean. Ce dernier, issu de l’accord de Montana, a rompu les ponts avec cette coalition politique, créant des fractures au sein du conseil.
Cette déclaration fait également écho à la visite de Fils-Aimé à Washington le 15 juillet dernier. Le Premier ministre avait alors rencontré Michael Jensen, directeur pour l’Hémisphère occidental au Conseil national de sécurité, ainsi que plusieurs élus américains. Une tournée diplomatique qui semble avoir porté ses fruits, au vu du soutien explicite qu’il reçoit aujourd’hui.
Des tensions à couteaux tirés
Les relations entre le Premier ministre et l’actuel coordonnateur du CPT Fritz Alphonse Jean se sont considérablement dégradées ces dernières semaines. Des lettres officielles demandant des comptes sur plusieurs dossiers sensibles ont fuité dans la presse début juillet, révélant au grand jour les dissensions internes.
Le porte-parole de la Primature, Ené Val, avait tenté de calmer le jeu en expliquant que Fils-Aimé avait répondu « un jour après » avoir reçu la lettre de Jean, conformément aux « principes de la démocratie ». Mais cette rapidité de réaction témoigne plutôt de la nervosité ambiante au sein de l’exécutif bicéphale.
La PNH, pomme de discorde
Parmi les sujets de friction, le remplacement du directeur général de la Police nationale d’Haïti (PNH), Rameau Normil, cristallise les tensions. Cette question sécuritaire cruciale, dans un pays où les gangs contrôlent encore de vastes territoires, divise profondément les deux têtes de l’exécutif.
Pour les Haïtiens qui vivent au quotidien l’insécurité, que ce soit à Cité Soleil ou à Pétion-Ville, ces querelles de palais peuvent sembler dérisoires face à l’urgence sécuritaire. Pourtant, elles révèlent les difficultés structurelles d’un système de gouvernance par nature instable.
L’ombre de Washington sur la politique haïtienne
En prenant publiquement position, les États-Unis envoient un signal fort : ils ne toléreront pas que les divisions internes compromettent leurs objectifs de stabilisation d’Haïti. Cette intervention directe dans les affaires politiques haïtiennes rappelle l’influence considérable de Washington sur le destin du pays.
Pour la diaspora haïtienne aux États-Unis, cette implication américaine peut être perçue comme une garantie de stabilité. Mais elle soulève aussi des questions sur la souveraineté nationale et la capacité des dirigeants haïtiens à gérer leurs propres contradictions.
Alors que le CPT s’apprête à changer de coordination, cette intervention américaine résonne comme un avertissement à tous ceux qui seraient tentés de jouer avec la stabilité politique. Mais au-delà des manœuvres de couloirs, nos compatriotes attendent toujours des résultats concrets : sécurité, services publics, perspective d’élections. Le vrai test pour ce nouvel équilibre des forces ne se joue pas dans les bureaux climatisés de Tabarre, mais dans les rues de nos quartiers où la vie continue malgré tout.