Dans un discours en créole plein d’émotion, le nouveau président du CPT promet de faire taire les gangs. Homme d’affaires à la tête d’un pays en guerre, il forme avec le PM un tandem 100% secteur privé. Un pari risqué ou la solution miracle ?
Une passation sous haute tension
Ce mercredi 7 août restera dans les mémoires comme l’un des moments les plus tendus de la transition haïtienne. Alors que les échos des menaces de Jimmy « Barbecue » Chérizier résonnaient encore dans les rues de Port-au-Prince, Laurent Saint-Cyr a officiellement pris les rênes du Conseil Présidentiel de Transition dans un cadre pourtant solennel à la Villa d’Accueil.
La cérémonie s’est déroulée en présence des conseillers-présidents, du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé et des représentants des corps constitués. Mais c’est le dispositif sécuritaire renforcé qui témoignait de la gravité du moment : la veille, le chef de gang avait menacé de prendre d’assaut les locaux du pouvoir, provoquant des tirs nourris dans plusieurs quartiers de la capitale.
Pour les familles haïtiennes, qu’elles vivent dans les bidonvilles de Cité Soleil ou dans les communautés de Brooklyn et Miami, cette passation symbolise à la fois l’espoir d’un nouveau départ et la crainte d’un énième échec.
« Trop de sang a coulé, trop de temps a été perdu »
Laurent Saint-Cyr a choisi de s’adresser au peuple haïtien en créole, un geste symbolique fort qui tranche avec le français souvent privilégié par l’élite politique. « L’heure n’est plus aux beaux discours. Il est temps d’agir », a-t-il lancé avec une gravité qui contrastait avec les promesses creuses de ses prédécesseurs.
Le nouveau président, quatrième en 16 mois de transition, a reconnu sans détour l’ampleur du défi : « Trop de sang a coulé, trop de temps a été perdu. » Des mots qui résonnent particulièrement chez les mères de famille de Martissant, de Bel-Air ou de Croix-des-Bouquets, témoins quotidiennes de cette violence qui ravage leurs quartiers.
Cette humilité affichée contraste avec l’attitude de son prédécesseur Fritz Alphonse Jean, qui a préféré critiquer « la lenteur administrative » plutôt que de présenter un véritable bilan de son action. Une sortie qui témoigne de l’incapacité des dirigeants précédents à assumer leurs responsabilités.
Le secteur privé aux commandes : révolution ou risque ?
Avec Laurent Saint-Cyr à la présidence du CPT et Alix Didier Fils-Aimé à la primature, Haïti vit une première historique : le secteur privé prend officiellement les rênes du pouvoir exécutif. Un tandem inédit qui fait naître autant d’espoirs que d’interrogations.
« Je suis là pour servir tous les secteurs sans aucun parti pris », a rassuré Saint-Cyr, conscient des soupçons qui pèsent sur lui. Il a rendu hommage à « toutes les forces économiques, des grandes entreprises jusqu’aux madan sara, en passant par les paysans et les artisans » – une reconnaissance rare de la diversité du tissu économique haïtien.
Pour de nombreux Haïtiens de la diaspora qui financent l’économie nationale par leurs transferts d’argent, cette approche inclusive pourrait enfin permettre une gestion plus pragmatique des affaires publiques.
« Les gangs n’auront pas le dernier mot »
Face à une population épuisée par les enlèvements quotidiens et les massacres à répétition, Laurent Saint-Cyr a fait de la sécurité son unique priorité. « Les gangs n’auront pas le dernier mot », a-t-il promis, rendant hommage aux victimes et aux forces de sécurité tombées au combat.
Cette promesse intervient dans un contexte particulièrement explosif : selon Fritz Alphonse Jean, seulement 20% du « budget de guerre » alloué à la lutte contre l’insécurité a été effectivement utilisé jusqu’à présent. Un aveu d’échec qui explique en partie la montée en puissance des gangs.
Le nouveau président a aussi insisté sur la nécessité de « dépasser les divisions qui minent le fonctionnement du Conseil ». Un appel à l’unité qui vise les tensions internes qui ont paralysé l’action du CPT ces derniers mois.
Un peuple entre espoir et scepticisme
Dans les rues de Pétion-Ville, une foule vêtue de t-shirts blancs a défilé pour saluer l’arrivée du nouveau président. Mais derrière cette mobilisation, les attentes restent mesurées. « Le peuple haïtien ne veut plus de promesses. Il veut des actes », résume un jeune manifestant, exprimant la lassitude d’une génération qui a vu défiler trop de dirigeants sans résultats.
Cette méfiance est partagée par de nombreux Haïtiens, notamment dans la diaspora, qui ont assisté impuissants à l’échec successif d’Edgard Leblanc Fils, Leslie Voltaire et Fritz Alphonse Jean.
Laurent Saint-Cyr saura-t-il briser la malédiction qui frappe la présidence tournante du CPT ? Son expérience d’homme d’affaires lui donnera-t-elle les clés pour réussir là où ses prédécesseurs ont échoué ? Une chose est certaine : avec Barbecue qui menace directement les institutions et un pays à genoux, le nouveau président n’a plus droit à l’erreur. Les cinq prochains mois diront si Haïti peut encore croire en ses dirigeants.
