Face à la montée des groupes armés qui recrutent massivement dans la jeunesse, la Direction nationale du livre (DNL) riposte avec des bibliothèques mobiles et des programmes culturels innovants. Une stratégie audacieuse qui mise sur l’éducation pour reconquérir les cœurs et les esprits.
Dans un contexte où les gangs contrôlent désormais plus de 60% du territoire de Port-au-Prince, la Direction nationale du livre (DNL) a choisi de mener sa propre guerre : celle des idées contre les balles, des livres contre les armes. Lors de la 23ᵉ édition des « Mardis de la Nation », le directeur général Ernst Saint-Louis a dévoilé une stratégie culturelle ambitieuse pour arracher la jeunesse haïtienne à l’emprise des groupes armés.
Des bibliothèques mobiles dans les camps de déplacés
L’initiative la plus marquante reste sans doute le déploiement de bibliothèques mobiles dans les places publiques et les camps de déplacés. Baptisé « An nou sou plas » (Allons sur place), ce programme ambulant apporte littéralement la culture là où elle a le plus disparu : dans les zones contrôlées ou menacées par les gangs.
Cette approche rappelle les initiatives similaires menées par des organisations comme « Kè Jan » en Colombie, où les bibliothèques mobiles ont contribué à pacifier des quartiers entiers. Pour les dizaines de milliers de familles déplacées qui vivent aujourd’hui dans des conditions précaires à Pétion-Ville, Tabarre ou Croix-des-Bouquets, ces bibliothèques mobiles représentent bien plus qu’un accès aux livres : elles incarnent un retour à la normalité et à l’espoir.
Un réseau national malgré l’insécurité
Avec ses 16 Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC), ses 7 bibliothèques et ses salles de spectacle répartis dans cinq départements, la DNL dispose encore d’un réseau national non négligeable. Une infrastructure précieuse dans un pays où de nombreuses écoles manquent cruellement de bibliothèques.
« Les bibliothèques communautaires constituent un précieux relais pour les établissements scolaires », souligne Ernst Saint-Louis, rappelant que l’accès à l’éducation reste l’un des meilleurs remparts contre la délinquance juvénile.
Une programmation culturelle offensive
La DNL ne se contente pas de distribuer des livres. Elle lance une véritable offensive culturelle avec :
- Un concours national prévu pour le 28 octobre 2025
- L’émission télévisée « Randevou ak liv ak lekti » sur la TNH
- La poursuite du programme « Les Vendredis de la DNL », espace d’échanges ouvert à tous les acteurs du secteur
Cette stratégie médiatique vise à créer un buzz positif autour de la lecture, à l’heure où les réseaux sociaux glorifient trop souvent la violence des gangs.
Le pari de la culture contre les armes
L’approche de la DNL s’inscrit dans les directives du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé, qui mise sur les « alternatives culturelles et éducatives en lieu et place des armes à feu ». Un pari audacieux quand on sait que les gangs offrent parfois aux jeunes des revenus supérieurs au salaire minimum.
Mais l’histoire haïtienne regorge d’exemples où la culture a triomphé de la violence. Nos grands écrivains comme Jacques Roumain ou René Depestre ont puisé leur force dans les livres avant de devenir des voix de résistance. Aujourd’hui, des rappeurs comme Barikad Crew continuent cette tradition en transformant leur art en message d’espoir.
Dans un pays où les gangs brûlent systématiquement écoles, hôpitaux et bibliothèques pour détruire « la pensée haïtienne », l’initiative de la DNL sonne comme un acte de résistance culturelle. Reste à savoir si cette guerre des livres contre les balles trouvera suffisamment de soutien pour inverser la tendance. Car au-delà des belles intentions, c’est bien l’avenir d’une génération entière qui se joue dans cette bataille pour l’âme d’Haïti.