L’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles a officiellement remis son projet de nouvelle Constitution au Conseil Présidentiel de Transition. Un héritage lourd de controverses, marqué par des doutes financiers et un manque de consensus, qui place désormais le CPT devant un choix politique capital.
Un Projet Livré dans un Contexte de Crise
Le processus de réforme constitutionnelle, mené par le comité piloté par l’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles, arrive à son terme officiel. Dans une correspondance en créole adressée au président du CPT, Laurent Saint-Cyr, M. Jean-Charles a remis un volumineux rapport de plus de 1 400 pages et le projet de texte constitutionnel.
Cependant, ce dépôt crucial pour l’avenir institutionnel du pays s’effectue dans un climat de profonde défiance. Le comité lui-même reconnaît avoir œuvré dans un contexte chaotique, marqué par une insécurité généralisée qui a forcé des milliers de familles à fuir leurs foyers et a grandement limité la tenue de véritables dialogues nationaux inclusifs. Le manque de moyens logistiques est également invoqué pour expliquer d’éventuels retards.
Des Questions Financières qui Persistent
Si le comité déplore un manque de moyens, la gestion financière du processus suscite de vives interrogations. Il a été confirmé que les membres du comité touchaient des jetons de présence de 700 000 gourdes par mois. Les financements, transitant par un « basket fund » géré par le PNUD, représenteraient un budget global estimé à 5 millions de dollars.
Des rumeurs persistantes concernant un premier décaissement de 50 millions de gourdes pour le lancement du projet n’ont jamais été pleinement clarifiées, alimentant le scepticisme. L’échec à relancer le site internet officiel du comité, critiqué pour son amateurisme et ses fautes politiques, n’a fait qu’ajouter au sentiment d’un manque de transparence.
Un Texte qui ne Fédère Pas
Le plus grand défi auquel est confronté ce projet est son absence flagrante de consensus national. M. Jean-Charles admet lui-même que le texte ne fait pas l’unanimité. La société civile et la classe politique sont profondément divisées sur la marche à suivre :
- Une partie des acteurs plaide pour un référendum direct basé sur ce texte.
- D’autres exigent carrément la tenue d’une Assemblée constituante élue pour retravailler le fondement même de la Loi Mère.
- Une frange reste encore attachée à la Constitution de 1987, estimant que ses principes fondamentaux n’ont pas à être modifiés.
Face à ces profondes divisions, le projet de près de 1 400 pages se présente moins comme une base de ralliement que comme une source de discorde supplémentaire.
La Balle est dans le Camp du CPT
Par ce dépôt, Enex Jean-Charles se décharge de sa responsabilité et transmet une équation politique des plus complexes au Conseil Présidentiel de Transition. De manière symbolique, il a même enjoint le CPT à se placer sous la guidance de l’« architecte de l’Univers et des Esprits des Grands Ancêtres » pour prendre sa décision, un aveu implicite que la raison et la politique alone peinent à trancher.
Le CPT se retrouve donc à hériter d’un dossier épineux, entaché de suspicions et sans légitimité populaire évidente. Il lui revient maintenant de faire un choix lourd de conséquences : tenter de soumettre ce texte contesté à un référendum, opter pour la voie plus longue mais peut-être plus légitime d’une Assemblée constituante, ou bien maintenir le statu quo, au risque de voir ce long processus s’enliser définitivement.
Alors que la nation lutte pour sa survie quotidienne contre l’insécurité, la question constitutionnelle, bien que fondamentale, semble pour beaucoup un débat éloigné de ses préoccupations immédiates. La crédibilité de toute future Loi Mère dépendra de sa capacité à émerger d’un processus transparent, inclusif et incontestable. Le CPT, sous la présidence de Laurent Saint-Cyr, saura-t-il ouvrir cette nouvelle page avec sagesse et en toute impartialité, pour offrir enfin à Haïti un pacte social qui rassemble plutôt qu’il ne divise ? L’avenir institutionnel du pays se joue maintenant dans les mains de ses dirigeants transitionnels.