Face à la menace climatique, Haïti impose une taxe environnementale de 25% sur les véhicules de plus de 7 ans. Une mesure controversée mais nécessaire selon les écologistes, qui vise à protéger la santé publique et réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’un des pays les plus vulnérables au monde.
L’Administration générale des douanes (AGD) ne plaisante plus avec l’environnement. Depuis quelques années déjà, une taxe environnementale de 25% frappe les véhicules usagés de plus de sept ans à leur importation. Une mesure qui fait grincer des dents mais qui, selon Patrick Saint-Pré, fondateur de Haïti Climat, constitue un signal fort dans la lutte contre la pollution.
Une mesure qui remonte à 2014 mais reste méconnue
Contrairement aux idées reçues, cette taxe n’est pas nouvelle. « Depuis les exercices 2014-2015, une circulaire des douanes avait déjà annoncé une augmentation de cette taxe pour la protection de l’environnement », rappelle Patrick Saint-Pré lors de son intervention au Panel Magik.
La mesure avait pourtant « scandalisé l’opinion publique, notamment sur les réseaux sociaux », témoignant selon l’activiste du besoin urgent « d’un vaste programme de sensibilisation et d’éducation auprès de la population ».
Pour beaucoup d’Haïtiens habitués aux véhicules d’occasion abordables, cette taxe représente un choc. Mais pour les défenseurs de l’environnement, elle constitue un outil indispensable pour décourager l’importation de « bombes écologiques » roulantes.
Haïti en première ligne face au réchauffement climatique
La situation géographique d’Haïti rend cette mesure d’autant plus cruciale. « Haïti est un petit État insulaire en développement, classé parmi les trois pays les plus vulnérables au monde face aux changements climatiques », souligne Patrick Saint-Pré.
Dans ce contexte, chaque geste compte. Le secteur des transports, responsable de près de 25% des émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à l’énergie, représente un enjeu majeur. Pour un pays déjà fragilisé par les catastrophes naturelles récurrentes, laisser entrer massivement des véhicules polluants équivaudrait à creuser sa propre tombe écologique.
Au-delà de l’environnement : un enjeu de santé publique
Les conséquences vont bien au-delà des statistiques climatiques. « Les véhicules usagés constituent une source de danger permanent pour la population locale, car ils émettent beaucoup de gaz d’échappement, exposant les gens à un niveau de pollution atmosphérique très élevé », alerte le fondateur de Haïti Climat.
À Port-au-Prince, où la circulation dense transforme déjà certains axes en véritables chambres à gaz à ciel ouvert, l’arrivée continue de véhicules polluants aggrave une situation sanitaire déjà préoccupante. Les familles haïtiennes, qu’elles vivent à Delmas ou à Brooklyn, sont directement concernées par cette dégradation de la qualité de l’air qui affecte leurs proches restés au pays.
Le défi sécuritaire : des véhicules dangereux sur les routes
L’aspect sécuritaire n’est pas en reste. « Ces voitures sont souvent en mauvais état, ce qui accroît les risques d’accidents et de décès », met en garde Patrick Saint-Pré. Sur les routes haïtiennes déjà périlleuses, l’introduction de véhicules aux systèmes de freinage défaillants ou aux pneus usés représente un danger mortel.
Une course mondiale vers la transition énergétique
Pendant que les pays développés s’engagent massivement dans la transition énergétique, Haïti se trouve à un carrefour décisif. « Plusieurs pays riches s’engagent à éliminer progressivement les machines polluantes sur les deux prochaines décennies, et certains se donnent 2030 pour passer totalement à l’électrique », observe l’écologiste.
Cette transition laisse craindre un déversement massif de véhicules polluants vers les pays en développement. La taxe haïtienne, bien qu’imparfaite, constitue une barrière préventive contre ce « dumping écologique ».
La question de la transparence reste posée
Mais où vont ces millions de gourdes collectées ? Patrick Saint-Pré reconnaît avec franchise « le manque de transparence qui fait défaut dans l’administration publique haïtienne ». Une préoccupation légitime pour les contribuables qui aimeraient voir ces fonds réinvestis dans des projets environnementaux concrets.
Malgré cette opacité, l’activiste maintient que l’urgence climatique ne peut attendre une administration parfaite. « Cela ne peut pas occulter la réalité » de la vulnérabilité haïtienne face aux changements climatiques.
Une mesure insuffisante mais nécessaire
Pour Patrick Saint-Pré, la taxe seule ne suffira pas. Il plaide pour un renforcement des « campagnes de sensibilisation pour faire comprendre à la population l’importance de réduire l’importation de voitures anciennes et polluantes ».
L’enjeu dépasse les frontières : il s’agit de réconcilier les besoins économiques immédiats des familles haïtiennes avec la survie à long terme de leur pays. Un défi de taille qui nécessitera créativité, pédagogie et détermination politique.
Cette taxe environnementale, bien que controversée, illustre les dilemmes auxquels font face les pays vulnérables. Entre nécessité économique et urgence écologique, Haïti tente de tracer une voie responsable. Pour réussir, cette politique devra s’accompagner d’alternatives accessibles et d’une communication transparente sur l’usage des fonds collectés. L’avenir du pays en dépend peut-être.