Japon, Brésil, Union européenne : trois nouveaux ambassadeurs ont présenté leurs lettres de créance au président du CPT ce vendredi 3 octobre. Au menu des discussions : sécurité, aide humanitaire et surtout, la volonté d’Haïti de sortir enfin de « l’assistanat ».
Une cérémonie diplomatique aux enjeux multiples
C’est dans le cadre solennel de la Villa d’accueil que s’est déroulée, vendredi matin, la cérémonie de remise des lettres de créance de trois nouveaux ambassadeurs accrédités en Haïti. Kazuhico Nishiuchi (Japon), Luis Guilherme Da Silva (Brésil) et Hélène Roots (Union européenne) ont été reçus par le président du Conseil présidentiel de transition (CPT), Laurent Saint-Cyr, entouré de plusieurs conseillers et du ministre des Affaires étrangères, Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste.
Au-delà du protocole diplomatique, cette rencontre a été l’occasion pour Haïti de rappeler ses priorités urgentes : sécurité, aide humanitaire et développement économique. Et les trois diplomates n’ont pas manqué de réaffirmer l’amitié de leurs pays respectifs envers Haïti, tout en promettant un accompagnement concret.
La sécurité : une urgence qui mobilise tous les partenaires
Sans surprise, la question sécuritaire a dominé les échanges. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays où les gangs imposent leur loi dans plusieurs zones, paralysant l’économie et forçant des milliers de familles à fuir leurs maisons ?
Laurent Saint-Cyr n’a pas tourné autour du pot : la sécurité est la priorité numéro un. Et les trois ambassadeurs ont répondu présent, chacun à sa manière.
Le Brésil mise sur son expérience anti-gangs. Luis Guilherme Da Silva a rappelé que son pays n’est pas un novice en matière de coopération sécuritaire avec Haïti. Le Brésil a notamment contribué à la formation de la première promotion de la Police nationale d’Haïti (PNH). Fort de plusieurs dizaines d’années d’expérience dans la lutte contre les gangs – pensons aux favelas de Rio –, le pays de Lula promet de poursuivre cet accompagnement.
L’Union européenne reste un partenaire clé de la PNH. Hélène Roots, nouvelle ambassadrice de l’UE, a réaffirmé le soutien européen à la police haïtienne. Mais elle a aussi insisté sur un autre levier essentiel : l’éducation. Pour elle, l’autonomisation de la jeunesse haïtienne passe par l’école, et l’UE entend poursuivre son rôle de partenaire majeur dans ce domaine.
Le Japon s’attaque au trafic d’armes. Kazuhico Nishiuchi a annoncé que Tokyo soutiendra Haïti dans le contrôle des douanes et la sûreté des frontières. L’objectif ? Limiter le trafic d’armes et de munitions qui transitent massivement par la frontière haïtiano-dominicaine. Une bataille cruciale, car sans armes, les gangs perdent une grande partie de leur pouvoir de nuisance.
Aide humanitaire : Haïti cherche de nouveaux partenaires
Face à l’ambassadeur japonais, Laurent Saint-Cyr a clairement exprimé le besoin pressant d’aide humanitaire. Un signal fort dans un contexte où l’USAID, traditionnellement l’un des plus gros bailleurs de fonds d’Haïti, a gelé ses financements.
Le président du CPT semble donc vouloir diversifier les partenariats pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Une stratégie pragmatique que comprennent bien les Haïtiens de la diaspora, habitués à naviguer entre plusieurs sources de soutien pour aider la famille restée au pays.
Hélène Roots, de l’UE, a rassuré Saint-Cyr : les Européens resteront engagés auprès des personnes les plus vulnérables en Haïti. Une promesse bienvenue pour les milliers de déplacés internes et les familles qui peinent à survivre sous la pression des gangs et de l’inflation galopante.
« Haïti ne doit pas rester dans l’assistanat »
Mais Laurent Saint-Cyr est allé plus loin. Au-delà de l’urgence humanitaire, le président du CPT a insisté sur la nécessité de renforcer la coopération économique. « Haïti ne doit pas rester dans l’assistanat », a-t-il martelé.
Un message qui résonne particulièrement auprès de nombreux Haïtiens, tant au pays que dans la diaspora, fatigués de voir leur nation éternellement dépendante de l’aide extérieure. Pour sortir de ce cercle vicieux, le CPT mise sur le renforcement des relations économiques avec ses partenaires internationaux.
Le Brésil parle d’investissement et de commerce. Luis Guilherme Da Silva a évoqué deux secteurs prioritaires : l’investissement et le commerce. Loin des simples promesses d’aide, le diplomate brésilien a parlé de « repenser les rapports entre les deux peuples ». Un langage qui plaît à ceux qui croient encore au potentiel économique d’Haïti.
Le Japon mise sur l’agriculture. Kazuhico Nishiuchi a assuré Laurent Saint-Cyr de la pleine collaboration de Tokyo, particulièrement dans le domaine agricole. Une coopération qui dure depuis 1956 et qui pourrait être renforcée. Car après tout, l’agriculture reste l’un des secteurs où Haïti pourrait retrouver une certaine autonomie alimentaire et créer des emplois.
Des promesses… et après ?
Ces échanges diplomatiques sont encourageants sur le papier. Mais les Haïtiens, ici comme ailleurs, ont appris à ne plus se contenter de belles paroles. Combien de promesses ont été faites par le passé sans jamais se concrétiser ?
La vraie question est donc : ces trois ambassadeurs parviendront-ils à transformer leurs engagements en actions concrètes ? Le Brésil enverra-t-il effectivement des experts anti-gangs ? L’Union européenne augmentera-t-elle son soutien à la PNH ? Le Japon aidera-t-il vraiment à sécuriser les frontières ?
La remise de ces lettres de créance marque un moment symbolique important dans les relations d’Haïti avec trois partenaires stratégiques. Mais au-delà du protocole, c’est la mise en œuvre concrète de ces engagements qui dira si Haïti peut enfin compter sur un soutien durable. Entre sécurité, aide humanitaire et développement économique, le pays a besoin de tout à la fois. Et la patience des Haïtiens a ses limites. Qu’en pensez-vous ? Ces nouveaux ambassadeurs réussiront-ils là où d’autres ont échoué ?
