Après plus de deux ans d’occupation par des déplacés, le prestigieux lycée Anténor Firmin rouvre ses portes avenue Charles Sumner. Entre joie du retour et inquiétudes sécuritaires, l’établissement tente de retrouver sa normalité dans un contexte toujours fragile.
C’est une page qui se tourne pour le lycée Anténor Firmin. Le 20 octobre dernier, élèves et professeurs ont enfin retrouvé leurs locaux de l’avenue Charles Sumner, plus de deux ans après avoir été chassés par une situation qui illustre douloureusement la crise que traverse le pays. Depuis août 2023, l’établissement était occupé par des familles déplacées fuyant la violence des gangs à Carrefour-feuilles, forçant l’école à se replier dans des conditions précaires à l’université de la Renaissance d’Haïti, à Turgeau.
Le 13 octobre, l’ambiance était à la fête dans la cour fraîchement rénovée. Uniformes impeccables, sourires aux lèvres, les élèves contemplaient leur alma mater comme si elle renaissait. « C’est avec une grande joie que nous sommes de retour chez nous. Cela réjouit également les élèves qui se sentent plus à l’aise », confie Jean Madcène Désir, directeur de l’établissement, avec une émotion palpable.
Une reconstruction laborieuse
Mais le retour s’est fait au prix d’efforts considérables. Après le départ des déplacés, c’est un établissement « totalement détruit » que l’équipe administrative a découvert. « Ils n’ont rien laissé : bureaux, bancs, système sanitaire, tout a été brisé. Même les fils électriques ont été arrachés », déplore M. Désir, sans chercher à masquer sa déception.
Grâce au soutien conjugué du gouvernement d’Alix Didier Fils-Aimé, du Fonds d’assistance économique et sociale (FAES), du Fonds national de l’éducation (FNE) et du ministère de l’Éducation nationale (MENFP), l’établissement a pu être réaménagé. Nouvelles couches de peinture, bancs neufs, bureaux fonctionnels : le bâtiment a retrouvé son éclat, même si plusieurs réparations restent à effectuer, notamment sur le réseau électrique et le système hydraulique.
Pour faciliter le relogement des déplacés qui occupaient les lieux, un appui financier leur a été accordé — une démarche nécessaire pour éviter une nouvelle crise humanitaire tout en permettant à l’éducation de reprendre ses droits.
Le prix de l’insécurité : élèves et professeurs portés disparus
Si le lycée a retrouvé ses murs, il a perdu une partie de son âme. Sur les 1 450 élèves initialement inscrits, environ 250 ont abandonné l’institution. Le directeur Désir en explique les raisons avec gravité : « Plusieurs élèves ne peuvent plus se rendre au lycée en raison de la distance. La plupart venaient de Carrefour-feuilles, Nazon, Christ-Roi ou de la rue Capois. Ils ont dû déménager à cause de la violence des gangs pour aller habiter dans des endroits plus éloignés. »
Le corps professoral n’est pas épargné. Certains enseignants ont quitté le pays dans le cadre du programme Biden, cette politique migratoire américaine qui a drainé des milliers d’Haïtiens vers les États-Unis. D’autres se sont réfugiés en province, fuyant l’insécurité galopante de la capitale. Pour la diaspora haïtienne qui suit ces développements depuis l’étranger, ces départs forcés rappellent l’hémorragie de talents que subit le pays depuis des décennies.
Malgré tout, 80 % des élèves ont répondu présent lors de la première semaine de reprise — un taux de présence qui témoigne de la soif d’éducation et de normalité dans un contexte chaotique.
L’ombre des gangs plane toujours
Le retour au bercail n’efface pas les inquiétudes. L’avenue Jean-Paul II, située à quelques encablures du lycée, reste une zone de tension où les affrontements entre forces de l’ordre et bandits armés sont monnaie courante. « Des rafales de balles se font entendre régulièrement dans les environs et des drones explosent à longueur de journée. Cette situation inquiète nos élèves et notre personnel », confie le directeur avec une pointe d’angoisse.
Les autorités gouvernementales ont néanmoins promis de prendre des « mesures drastiques » pour sécuriser l’environnement de l’école et éviter toute nouvelle occupation par des déplacés. Une promesse que les responsables de l’établissement accueillent avec un mélange d’espoir et de prudence.
Une solidarité forcée dans l’adversité
Pour sa réouverture, le lycée Anténor Firmin ne sera pas seul. Il partage désormais ses locaux avec l’École nationale Horace Étéard et la section fondamentale du lycée Fritz Pierre-Louis, deux établissements également contraints de fermer leurs portes à cause de la violence des gangs. Cette cohabitation imposée illustre l’ampleur de la crise éducative qui secoue la capitale haïtienne.
Cette récupération des locaux s’inscrit dans une opération plus large du gouvernement visant à libérer plusieurs institutions publiques encore occupées par des déplacés — un défi titanesque dans un pays où l’État peine souvent à s’imposer face aux urgences humanitaires.
Le retour du lycée Anténor Firmin dans ses murs est une victoire symbolique, mais fragile. Combien de temps l’établissement pourra-t-il tenir face à l’insécurité ambiante ? Combien d’élèves et de professeurs devront encore fuir avant que l’éducation redevienne un droit accessible à tous ? Pour des milliers de jeunes Haïtiens, l’école reste leur seul espoir d’un avenir meilleur. Il appartient désormais aux autorités de transformer cette lueur d’espoir en réalité durable.
