Par l’équipe d’Horizon 360 News
Santo Domingo – Ce lundi 21 avril 2025 marque l’entrée en vigueur des 15 mesures controversées annoncées par le président dominicain Luis Abinader pour lutter contre la migration irrégulière en provenance d’Haïti. Ces dispositions, qualifiées de « fermes » et pour certaines « douloureuses » par le président, ont déclenché une vague de panique dans les communautés haïtiennes et des critiques acerbes de la part d’organisations de défense des droits humains, tant en République dominicaine qu’en Haïti.
Un protocole hospitalier controversé
Au cœur de ces mesures, un nouveau protocole hospitalier impose aux patients des 33 principaux hôpitaux publics, y compris les maternités, de présenter des documents d’identité légaux, un permis de travail ou une preuve de résidence pour accéder aux soins. Dans chaque établissement, un agent de la Direction générale de l’immigration (DGM) est désormais chargé de vérifier le statut migratoire des patients. Selon le président Abinader, les patients sans documents valides recevront des soins d’urgence, mais seront déportés immédiatement après, y compris les mères trois jours après leur accouchement.
Le média dominicain Diario Libre rapporte que le Service national de santé (SNS), en collaboration avec la DGM, a commencé à appliquer ce protocole dès aujourd’hui dans les hôpitaux recevant le plus de patients étrangers, majoritairement haïtiens. Cette mesure vise à réduire la pression sur le système de santé dominicain, où, selon Abinader, les Haïtiens représentent 14 % des hospitalisations et 34 % des naissances.
Cependant, ce protocole suscite une indignation croissante. Wendy Osirus, travailleur social et président de l’organisation haïtienne Mouvman pou dwa moun, lapè avèk lajistis global, dénonce une « violation flagrante des droits humains ». « Déporter une mère et son nouveau-né trois jours après l’accouchement est inhumain. Cela pousse de nombreuses femmes à éviter les hôpitaux, au risque de complications graves, voire de décès », a-t-il déclaré dans une interview accordée à Horizon 360 News. Osirus souligne que la peur des déportations a déjà conduit à une baisse significative de la fréquentation des hôpitaux par les Haïtiens, aggravant leur vulnérabilité.
Des déportations marquées par la violence
Depuis l’annonce des mesures le 6 avril, les opérations de déportation se sont intensifiées, avec des témoignages alarmants rapportés par le journal haïtien Le Nouvelliste. Des Haïtiens en situation irrégulière décrivent des interventions nocturnes brutales, des intrusions domiciliaires sans mandat et l’usage de balles en caoutchouc par les agents de l’immigration. « Ils entrent dans nos maisons en pleine nuit, nous embarquent avec violence. Ceux qui tentent de fuir sont souvent blessés », confie un migrant anonyme. Plusieurs cas de disparitions après des arrestations ont également été signalés, bien que l’absence de données officielles rende difficile la confirmation de décès.
Selon Listin Diario, entre janvier 2024 et début avril 2025, environ 210 000 personnes, dont 99,4 % de Haïtiens, ont été expulsées par les autorités dominicaines. Rien qu’au premier trimestre 2025, plus de 86 000 Haïtiens sans papiers ont été rapatriés, un chiffre qui reflète l’ampleur de la politique migratoire d’Abinader.
Un incident particulièrement troublant a été documenté par Listin Diario. Une vidéo virale montre une femme haïtienne enceinte, prétendument en possession de documents en règle, arrêtée à l’hôpital maternel de San Lorenzo de Los Mina alors qu’elle était en travail. Emmenée vers un bus de déportation, elle a finalement été ramenée à l’hôpital après que le directeur de l’immigration, Luis Rafael Lee Ballester, a nié les faits, arguant que le bus jaune utilisé était « hors service ». Cet épisode a amplifié les accusations de pratiques discriminatoires et abusives.
Une militarisation croissante et des tensions communautaires
Les mesures d’Abinader incluent également le déploiement de 1 500 soldats supplémentaires le long de la frontière, portant le total à 11 000, et l’accélération de la construction de 13 kilomètres additionnels du mur frontalier, dont 54 kilomètres sont déjà érigés. Ces initiatives s’inscrivent dans un contexte de tensions croissantes, exacerbées par des manifestations anti-haïtiennes menées par des groupes ultranationalistes comme Antigua Orden Dominicana.
Des organisations sociales dominicaines, telles que Action Afro-Dominicaine et Femmes Sociopolitiques Mama Tingó, ont dénoncé dans une déclaration conjointe ce qu’elles qualifient de « répression systématique » contre les Haïtiens. Elles pointent du doigt la militarisation des communautés comme Friusa et Mata Mosquitos, où trois Haïtiens auraient été tués entre le 6 et le 10 avril dans des circonstances troubles. « Ces actions, combinées aux expulsions forcées et au déni des services de base, alimentent un climat de peur et de discrimination », lit-on dans leur communiqué publié par Acento.
Un appel à l’action diplomatique
Face à cette crise, le Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés (GARR) en Haïti a exhorté les autorités haïtiennes à entamer des démarches diplomatiques pour garantir le respect des droits des citoyens haïtiens. Cet appel intervient alors que des vidéos montrant des déportations brutales, y compris celle d’une femme enceinte, continuent de circuler sur les réseaux sociaux, alimentant l’indignation.
De son côté, Abinader justifie ces mesures comme une nécessité pour protéger la souveraineté dominicaine face à l’instabilité croissante en Haïti, où les gangs contrôlent 85 % de Port-au-Prince. « La violence qui détruit Haïti ne traversera pas la frontière », a-t-il déclaré, tout en appelant la communauté internationale à assumer ses responsabilités dans la crise haïtienne.
Une communauté haïtienne en détresse
La peur s’est installée dans les communautés haïtiennes en République dominicaine. « Les rues sont désertes, les gens évitent leurs activités quotidiennes par crainte d’être arrêtés », rapporte Wendy Osirus. Certains consulats haïtiens, comme celui de Santiago, et des organisations telles que la Fondation Zile offrent des moyens de transport pour un retour volontaire en Haïti, mais beaucoup de migrants se retrouvent dans une situation de précarité extrême, sans ressources pour repartir ou rester.
Une politique sous le feu des critiques
Les organisations internationales, dont Amnesty International, ont condamné les politiques migratoires dominicaines comme étant « racistes et discriminatoires ». Dans une lettre ouverte, l’ONG a appelé à la fin des expulsions collectives, qui violent le principe de non-refoulement, et à l’arrêt des détentions arbitraires, notamment des femmes enceintes et des enfants. « Les déportations d’enfants et de femmes vulnérables mettent en doute l’engagement du gouvernement d’Abinader envers les droits humains », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Alors que la République dominicaine durcit sa politique migratoire, le sort des Haïtiens, pris entre la violence des gangs dans leur pays et la répression dans le pays voisin, reste incertain. Cette crise humanitaire, loin de trouver une solution, met en lumière les défis complexes d’une île partagée par deux nations aux réalités divergentes.
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