L’ancien ministre Aviol Fleurant voit ses recours rejetés par la cour d’appel. Accusé d’enrichissement illicite avec un patrimoine qui a explosé entre 2016 et 2018, l’avocat-politicien reste dans le viseur de la justice haïtienne.
C’est un nouveau coup dur pour Me Aviol Fleurant. L’ancien ministre de la Planification et de la Coopération externe vient de voir son appel rejeté par la cour d’appel de Port-au-Prince, qui confirme l’ordonnance du doyen Bernard St-Vil. Translation : ses tentatives pour échapper aux poursuites pour enrichissement illicite se soldent par un échec retentissant.
L’affaire, qui traîne depuis des mois, révèle les méandres d’un système où certains acteurs politiques semblent avoir confondu service public et enrichissement personnel. Au cœur du dossier : des chiffres qui donnent le vertige et des explications qui se font attendre.
Des comptes en banque qui parlent plus fort que les mots
Les révélations de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) sont accablantes. Entre 2016 et 2018, period durant laquelle Fleurant occupait son poste ministériel, son patrimoine a connu une croissance pour le moins spectaculaire.
Les enquêteurs ont découvert pas moins de 16 comptes bancaires appartenant au couple Fleurant – 7 en gourdes, 9 en dollars américains. Au total, plus de 100 millions de gourdes de dépôts bancaires, alors que les revenus légitimes déclarés de l’ancien ministre s’élevaient à environ 29 millions de gourdes sur la même période.
Simple arithmétique : comment justifier un écart de plus de 70 millions de gourdes ? C’est exactement la question que se pose la justice haïtienne.
L’art de la dissimulation fiscale
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. L’ULCC a également épinglé Fleurant pour ses déclarations d’impôts « créatives ». L’ancien ministre aurait omis de déclarer une partie significative de ses honoraires d’avocat – 400 000 gourdes mensuelles selon ses propres déclarations de patrimoine, mais curieusement absentes de ses déclarations fiscales.
Résultat : un manque à gagner estimé à près de 2,8 millions de gourdes pour le fisc haïtien sur 33 mois. Dans un pays où chaque centime compte pour le budget national, cette « oubli » prend des allures de délit.
Des propriétés qui tombent du ciel
L’enquête révèle aussi l’acquisition de deux propriétés à Péguy-Ville au nom des enfants Fleurant, pour la somme de 75 000 dollars américains. Problème : l’origine des fonds reste mystérieuse. Pour les enquêteurs, Fleurant « ne peut raisonnablement justifier la provenance » de cet argent.
Justice rendue, mais combat continue
Face à ces révélations, Me Fleurant avait tenté plusieurs manœuvres judiciaires. Demande d’habeas corpus rejetée par le doyen St-Vil, appel devant la cour d’appel également rejeté, requête en suspicion légitime devant la Cour de cassation… Autant de tentatives pour échapper à l’instruction menée par le juge Loubens Élysée.
La cour d’appel, présidée par la juge Gabrielle Domingue Pierre, a été claire : l’instruction se poursuit, et le juge Élysée reste compétent tant qu’aucun dessaisissement n’est prononcé par la Cour de cassation.
Un symbole qui dépasse le cas personnel
Cette affaire Fleurant dépasse le cas d’un ancien ministre. Elle cristallise les frustrations d’une population qui voit certains de ses dirigeants s’enrichir pendant que le pays s’enfonce dans la crise. Pour beaucoup d’Haïtiens, tant en Haïti que dans la diaspora, cette poursuite judiciaire représente un test crucial pour la crédibilité du système judiciaire national.
L’ULCC, créée pour lutter contre la corruption endémique, prouve qu’elle peut faire son travail d’investigation. Reste maintenant à voir si la justice saura aller jusqu’au bout, dans un contexte où les pressions politiques sont souvent plus fortes que l’application de la loi.
L’affaire Fleurant pose une question fondamentale : dans un pays où tant de citoyens peinent à joindre les deux bouts, comment tolérer que ceux qui sont censés les servir s’enrichissent de manière suspecte ? La suite de cette procédure judiciaire dira si Haïti est enfin prête à tourner la page de l’impunité qui gangrène ses institutions depuis trop longtemps.