Treize mois après son installation, le Conseil présidentiel de transition divise. Lors d’un débat tendu au Congrès patriotique, Leslie Voltaire défend un bilan « globalement positif » tandis que le journaliste Valéry Daudier dénonce un échec « négatif et chaotique ». Deux visions, une seule réalité : Haïti s’enlise.
Au NH El Rancho de Pétion-Ville, l’atmosphère était électrique ce vendredi 27 juin. Face aux congressistes du Kongrè patriyotik pou yon sovtaj nasyonal, deux hommes, deux visions diamétralement opposées du même phénomène : le bilan du Conseil présidentiel de transition (CPT) après treize mois au pouvoir. D’un côté, Leslie Voltaire, conseiller présidentiel et ancien coordonnateur du CPT. De l’autre, Valéry Daudier, journaliste et éditorialiste au Nouvelliste. Un face-à-face qui révèle le gouffre entre le discours officiel et la réalité vécue par des millions d’Haïtiens.
Leslie Voltaire : « Le verre à moitié plein »
Armé de son PowerPoint et d’une conviction inébranlable, Leslie Voltaire a défendu bec et ongles l’action du CPT. « Je parle à beaucoup d’amis qui me disent que le bilan du CPT est négatif », a-t-il reconnu d’emblée, avant de dérouler ce qu’il considère comme les succès de l’institution.
Dans son exposé, l’ancien coordonnateur a mis en avant l’installation « sans heurts » de deux gouvernements, la relance du processus de révision constitutionnelle, la création du Conseil électoral provisoire et la nomination d’ambassadeurs. Il a également revendiqué la sécurisation d’installations stratégiques, notamment la création récente d’un couloir de sécurité vers le port de Port-au-Prince, et les opérations policières pour reprendre certaines zones aux gangs.
Sur le plan sécuritaire, M. Voltaire a défendu l’action du CPT en soulignant qu’avant novembre 2024, « il n’y avait pas eu d’opérations policières, seulement des escarmouches ». Un argument qui résonne étrangement quand on connaît l’ampleur de la crise sécuritaire qui frappe le pays.
Valéry Daudier : la douche froide de la réalité
Face à cette présentation optimiste, Valéry Daudier n’a pas mâché ses mots. Dans un exposé « salué par les congressistes », le journaliste a rappelé que la mission du CPT était clairement définie : assurer la sécurité, organiser des élections, engager une réforme constitutionnelle et relancer l’économie.
« Je pense que n’importe qui dans la salle pouvait faire le bilan du CPT », a-t-il lancé avec une ironie mordante, avant de dresser un tableau autrement plus sombre de la situation.
Les chiffres qui dérangent
Pendant que Leslie Voltaire vantait les mérites du CPT, Valéry Daudier rappelait une réalité que connaissent bien nos compatriotes sur le terrain : sous la gouvernance du Conseil présidentiel, les gangs ont étendu leur emprise territoriale, contraignant des dizaines de milliers de familles à fuir leurs foyers.
La liste des zones tombées aux mains des bandits armés s’allonge : Gressier, Solino, Nazon, Delmas 30, Kenscoff, Saut-d’Eau, Mirebalais, La Chapelle… Autant de noms qui résonnent douloureusement dans le cœur des familles dispersées entre Haïti et la diaspora.
Plus troublant encore, le journaliste a souligné que sur les 5 000 policiers officiellement recensés, seuls 800 seraient réellement déployés sur le terrain. Un chiffre qui explique en partie l’incapacité des forces de l’ordre à contenir l’expansion des gangs armés.
Un pouvoir sans contrôle
Au-delà des statistiques sécuritaires, Valéry Daudier a pointé du doigt un problème structurel majeur : le non-respect de l’accord du 3 avril, notamment l’absence d’installation de l’Organe de contrôle des actions gouvernementales. Résultat : le CPT détient un pouvoir absolu et ne rend de comptes à personne.
Cette situation rappelle tristement les dérives du passé que beaucoup d’Haïtiens, ici comme à l’étranger, espéraient voir définitivement enterrées. Comment peut-on parler de transition démocratique quand les contre-pouvoirs brillent par leur absence ?
Des élections dans le chaos ?
La question électorale, centrale dans la mission du CPT, devient presque surréaliste dans ce contexte. « Dans un tel contexte, des élections où, pour qui, avec qui ? », s’est interrogé Valéry Daudier, résumant le sentiment de beaucoup d’observateurs.
Comment organiser des élections crédibles quand une partie significative du territoire échappe au contrôle de l’État ? Comment mobiliser les électeurs quand des familles entières sont contraintes à l’exil interne ou externe ?
L’image ternie dès le départ
Le journaliste n’a pas oublié de rappeler que l’image du CPT était déjà entachée dès sa création par l’inculpation de trois de ses membres pour corruption. Un démarrage sous de mauvais auspices qui préfigurait peut-être les difficultés à venir.
En somme, ce débat au NH El Rancho révèle plus qu’un simple désaccord d’analyse : il expose le fossé béant entre un pouvoir qui se berce d’illusions et une réalité que vivent quotidiennement des millions d’Haïtiens. Pendant que certains comptabilisent les nominations et les réunions, d’autres comptent les morts, les déplacés et les territoires perdus. Pour nos frères et sœurs de la diaspora qui suivent avec angoisse l’évolution de la situation, ce bilan « négatif et chaotique » n’est malheureusement pas une surprise. La question qui demeure : combien de temps encore Haïti pourra-t-elle se permettre cette politique de l’autruche ?