Une querelle autour d’une barrière routière a dégénéré en guerre ouverte entre anciens alliés à Carrefour Marassa. En moins de 48 heures, deux chefs de gangs ont trouvé la mort dans des affrontements qui ont terrorisé la population de la plaine du Cul-de-Sac. Cette escalade de violence révèle la fragilité des alliances criminelles et l’absurdité d’un pays où l’on meurt pour un passage de route.
Quand l’alliance « Viv Ansanm » se fissure
L’ironie est cruelle : des gangs supposés unis sous la bannière de la coalition « Viv Ansanm » s’entre-tuent pour une barrière routière. Vendredi 6 juin au soir, la tension a explosé à Pon Kade, près de Lakou Bastien à Santo 25, opposant les bandits de 400 Mawozo et des Taliban aux criminels de Chen Mechan.
Le motif du conflit ? Une barrière érigée à l’époque où ces gangs étaient ennemis. Désormais « alliés » au sein de Viv Ansanm, Wilson Joseph (alias Lanmò San Jou) et Jeff Larose (alias Gwo lwa) estimaient que cette barricade n’avait plus sa raison d’être. Mais Claudy Célestin, chef de Chen Mechan, a refusé de céder.
Cette dispute apparemment futile cache en réalité des enjeux territoriaux et économiques majeurs : contrôle des axes de circulation, taxation des véhicules, domination d’un corridor stratégique. Dans l’univers des gangs, une barrière n’est jamais qu’une simple barrière.
Deux chefs de gangs tombent en 48 heures
L’escalade a été foudroyante. Après avoir forcé partiellement le passage en début de semaine pour laisser passer les motocyclettes, les bandits de 400 Mawozo ont tenté vendredi soir d’ouvrir totalement la route aux automobiles. La résistance de Chen Mechan a déclenché un véritable festival de violence.
Vers 22 heures, les hommes de Wilson Joseph ont attaqué le bastion de Nazbè, un ancien policier reconverti en chef de gang, à Carrefour Marassa. Nazbè et l’un de ses lieutenants ont été abattus, leurs corps exhibés comme trophées de guerre sur des vidéos WhatsApp – une pratique macabre devenue tristement banale dans ce théâtre de l’horreur.
Dimanche, c’est Lucner alias Kanbwa (surnommé ainsi à cause de ses jambes arquées) qui a payé le prix fort. Installé pour succéder à Nazbè le matin, il a été tué l’après-midi même alors qu’il tentait d’empêcher des pillages. Une mort qui illustre la précarité du « pouvoir » dans cet univers où l’espérance de vie d’un chef se compte parfois en heures.
L’intervention surréaliste de « Barbecue »
Samedi après-midi, dans un épisode digne d’un mauvais film, Jimmy Chérizier alias « Barbecue », le chef suprême de Viv Ansanm, a diffusé un message sur les réseaux sociaux pour exhorter ses « troupes » à cesser les hostilités. Un appel à la paix de la part de l’homme qui orchestre la terreur dans le pays – le comble du cynisme.
Momentanément, l’appel a été entendu. Les gangs ont même ordonné aux habitants tentant de fuir de regagner leurs maisons, annonçant la « fin » des affrontements. Mais comme souvent dans ce chaos organisé, le calme n’était qu’apparent.
La population prise en otage
Pendant que les criminels règlent leurs comptes, c’est toute une population qui subit les conséquences. À Santo, des centaines de personnes ont traversé la rivière Grise pour rejoindre Tabarre, fuyant les échanges de tirs nourris. D’autres, terrées chez elles, ont lancé des appels désespérés sur les réseaux sociaux.
Les témoignages font froid dans le dos : familles séparées dans la panique, enfants traumatisés par le bruit des armes automatiques, commerces pillés et vandalisés. Plusieurs entreprises de la zone ont été dévalisées, ajoutant la ruine économique au trauma psychologique.
Un territoire en état de siège permanent
Lundi 9 juin, la plaine du Cul-de-Sac reste sous tension. Écoles fermées, commerces clos, circulation paralysée – le quotidien d’un pays en guerre civile non déclarée. Quelques véhicules blindés de la police ont été aperçus près de Carrefour Marassa, mais leur présence symbolique ne change rien à la réalité : ce sont les gangs qui contrôlent le territoire.
Cette escalade rappelle les heures sombres d’avril 2022, quand 400 Mawozo avait déjà envahi les territoires de Chen Mechan, semant la mort parmi les civils. Un précédent qui fait craindre le pire pour les prochains jours.
Une barrière routière a suffi à déclencher cette guerre fratricide entre criminels. Demain, ce sera peut-être un différend sur une taxe, un territoire ou une femme. Dans l’Haïti des gangs, les motifs de conflit sont infinis, mais les victimes sont toujours les mêmes : les civils pris en otage d’une violence qui n’a plus de limites. Quand l’État brille par son absence, c’est la loi de la jungle qui s’impose. Et dans cette jungle, même les prédateurs finissent par s’entre-dévorer.