Après des années d’absence forcée, les plus hauts dirigeants du pays ont foulé le sol du centre-ville sous escorte renforcée. Un geste fort qui pourrait marquer le début de la reconquête de l’espace public par l’État haïtien.
Ce jeudi 26 septembre restera peut-être gravé comme un tournant symbolique dans la bataille pour la reconquête de Port-au-Prince. Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé et le conseiller-président Leslie Voltaire ont bravé l’insécurité chronique pour se rendre ensemble au Champ-de-Mars, accompagnés du directeur général de la PNH, André Vladimir Paraison.
Un retour chargé de symboles
Pour comprendre l’ampleur de ce geste, il faut se rappeler que depuis plus d’un an, même le Palais national – symbole du pouvoir d’État – était devenu inaccessible. Les gangs armés avaient réussi l’impensable : chasser l’administration publique du cœur historique de la capitale. Des ministères entiers, comme ceux de l’Intérieur et du Commerce, avaient plié bagage, laissant le centre-ville aux mains des groupes criminels.
Cette promenade sous haute protection n’est donc pas anodine. Elle rappelle les visites présidentielles dans les quartiers populaires d’autrefois, quand les dirigeants pouvaient encore se mêler à la population sans craindre pour leur sécurité. Pour beaucoup d’Haïtiens, qu’ils soient à Pétion-Ville, à Miami ou à Montréal, ces images font écho à un temps révolu où l’État était encore maître chez lui.
« La terreur n’aura pas le dernier mot »
Dans son communiqué officiel, la Primature a été claire sur ses intentions : « Tous ces efforts sont faits dans un seul but : permettre à la population de reprendre ses activités quotidiennes au centre de Port-au-Prince, dans la sécurité et la dignité. »
Le Premier ministre a renchéri avec une déclaration qui résonne comme un défi lancé aux bandits : « La terreur n’aura pas le dernier mot et l’État restera aux côtés du peuple jusqu’à ce que la paix et la stabilité reviennent dans la capitale. »
Ces mots rappellent les promesses de campagne de nombreux dirigeants haïtiens du passé. Mais cette fois, la différence pourrait résider dans la stratégie adoptée : une approche progressive combinant nettoyage des espaces publics, opérations sécuritaires ciblées et retour graduel des services administratifs.
Une réponse aux critiques politiques ?
Cette sortie publique intervient dans un contexte politique tendu. L’économiste Fritz Alphonse Jean avait récemment adressé une lettre au Conseil présidentiel de transition réclamant le départ du Premier ministre. La présence solidaire de Leslie Voltaire aux côtés de Fils-Aimé envoie un message clair : l’unité prévaut au sommet du pouvoir.
Pour la diaspora haïtienne qui suit de près les soubresauts politiques du pays, cette démonstration d’autorité pourrait être interprétée comme une tentative de stabilisation institutionnelle. Après des décennies de changements de gouvernement à répétition, la continuité de l’action publique reste un défi majeur.
Cette reconquête symbolique du Champ-de-Mars marquera-t-elle vraiment le début de la fin pour l’emprise des gangs sur Port-au-Prince ? Ou n’est-ce qu’une parenthèse avant un retour à la normale ? Une chose est sûre : pour les Haïtiens d’ici et d’ailleurs qui rêvent de retrouver leur capitale, chaque pas vers la normalisation compte. L’avenir nous dira si cette démonstration de force se traduira par des changements durables dans le quotidien des Port-au-Princiens.