Dix mois sans salaire, pas de contrat en bonne et due forme, et un ministre qui parle d’audit avant tout paiement. La crise des employés du Centre national des équipements (CNE) révèle les dysfonctionnements chroniques de l’administration haïtienne. Entre pneus enflammés à Delmas 33 et promesses floues du ministère, près de 1000 travailleurs vivent un cauchemar administratif qui questionne la gestion des ressources humaines dans la fonction publique.
Quand la rue devient le seul bureau syndical
Lundi 2 juin, une dizaine d’employés du CNE ont transformé les abords du ministère des Travaux publics en zone de protestation. Pneus enflammés, barricades improvisées : le vocabulaire de la contestation haïtienne dans toute sa dimension. Mais derrière ces images familières se cache une réalité que connaissent malheureusement trop de familles haïtiennes : celle de l’employé public abandonné par l’État.
Dix mois d’arriérés de salaire. Pour comprendre ce que cela représente, il faut imaginer ces familles qui, comme tant d’autres en Haïti, dépendent entièrement d’un salaire régulier pour survivre. Pas de plan B, pas d’économies, juste l’espoir que l’État honore ses engagements.
Le mystère des mille employés sans contrat
Le ministre Raphaël Hosty a lâché un chiffre qui donne le vertige : près de 1000 employés du CNE n’auraient jamais signé de contrat formel. Comment peut-on travailler des mois, voire des années, sans document officiel ? Cette situation rappelle malheureusement une réalité connue de nombreux Haïtiens, y compris dans la diaspora : l’emploi informel comme norme plutôt qu’exception.
« Le CNE est une page déjà tournée », déclare le ministre lors des « Mardis de la Nation ». Facile à dire quand on n’attend pas un salaire pour nourrir sa famille. Cette phrase résonne amèrement pour ces employés qui découvrent que leur institution a été dissoute en Conseil des ministres, comme si leurs années de service pouvaient s’effacer d’un trait de plume.
Entre Défense et Travaux publics : le ping-pong administratif
L’ex-Premier ministre Garry Conille avait transféré la gestion des équipements du CNE au ministère de la Défense. Les employés devaient être intégrés soit à la Défense, soit au MTPTC. Sur le papier, tout semblait clair. Dans la réalité, c’est le flou artistique total.
Cette situation évoque les difficultés que rencontrent souvent les Haïtiens dans leurs démarches administratives, que ce soit pour obtenir un passeport, régulariser un dossier ou simplement faire reconnaître leurs droits. L’administration haïtienne excelle dans l’art de renvoyer les citoyens d’un bureau à l’autre.
L’audit, nouvelle panacée administrative ?
« Un audit approfondi des dossiers est nécessaire avant d’envisager un quelconque versement », annonce le ministre Hosty. L’audit : ce mot magique qui, en Haïti, sert souvent à gagner du temps quand on ne veut pas ou ne peut pas résoudre un problème immédiatement.
Pendant ce temps, les employés attendent. Leurs factures d’électricité ne connaissent pas d’audit, l’école des enfants non plus, et le marchand du coin ne fait pas crédit indéfiniment. Cette réalité, les Haïtiens de la diaspora qui envoient des mandats le savent bien : quand l’État faillit, ce sont les familles qui paient.
Les « pratiques douteuses » : quand le ministre lâche des sous-entendus
Raphaël Hosty évoque des « pratiques douteuses » et des « petits arrangements » sans les nommer précisément. Ces allusions alimentent les soupçons sur la gestion du CNE, mais n’apportent aucune réponse concrète aux employés dans le besoin.
Cette communication par sous-entendus est révélatrice d’un système où la transparence n’est pas la priorité. Les employés honnêtes payent-ils pour les éventuelles malversations d’autres ? Cette question hante souvent les débats sur la fonction publique haïtienne.
Un témoignage qui résonne
« Nous demandons simplement ce qui nous revient de droit. Nous avons travaillé pendant des mois sans être payés, il est temps que l’État nous reconnaisse », témoigne un employé sous anonymat.
Cette phrase pourrait être prononcée par des milliers de fonctionnaires haïtiens, des enseignants aux agents de santé, en passant par les policiers. Elle résume la relation dysfonctionnelle entre l’État haïtien et ses serviteurs.
La crise du CNE n’est que la partie visible de l’iceberg de la gestion publique haïtienne. Entre employés fantômes, contrats inexistants et promesses d’audit, elle illustre parfaitement pourquoi tant de jeunes Haïtiens préfèrent tenter leur chance ailleurs plutôt que de faire confiance aux institutions nationales.
En attendant cet fameux audit, une question demeure : combien de temps encore ces familles peuvent-elles survivre sans leurs salaires ? Et surtout, qui assumera la responsabilité de cette crise humaine ?