Après douze jours dans le noir, Port-au-Prince retrouve progressivement l’électricité. Mais derrière ce retour du courant se cache un bras de fer entre les habitants du Plateau central et l’État sur la question sécuritaire. Un accord de circonstance qui pourrait voler en éclats à tout moment.
Le soulagement était palpable ce vendredi soir dans les rues de la capitale. Après plus d’une semaine d’interruption totale, les premières lumières ont commencé à s’allumer dans certains quartiers de Delmas. La centrale hydroélectrique de Péligre, fermée depuis le 11 mai par des citoyens en colère, a finalement redémarré.
Un redémarrage en douceur, quartier par quartier
« Nous n’allons pas alimenter tous les circuits aussi rapidement. Nous procéderons étape par étape », explique Pierre Michel Felix, président de la Fédération des Syndicats des Travailleurs de l’EDH. Une prudence compréhensible après les déclenchements techniques qui ont marqué cette remise en service.
Pour les familles de Port-au-Prince qui ont vécu ces douze jours sans électricité, chaque quartier qui retrouve le courant représente un petit miracle. Les commerçants de Delmas peuvent enfin rallumer leurs réfrigérateurs, les étudiants retrouver leurs lampes de chevet, et les malades bénéficier d’un meilleur suivi médical dans les centres de santé.
Le Plateau central impose ses conditions à l’État
Mais cette victoire technique cache une réalité plus complexe. Car si Péligre fonctionne à nouveau, c’est au prix d’une négociation délicate avec les populations du Plateau central. Jeudi, une équipe de l’EDH s’était rendue sur place, suivie vendredi par une réunion cruciale à Hinche entre les autorités et les habitants de Mirebalais et Saut d’Eau.
Le message des citoyens était clair : ils acceptent de rouvrir la centrale, mais à une condition non négociable – que l’État délogge les bandits qui terrorisent leur région. Une revendication que comprennent parfaitement les Haïtiens de la diaspora, eux qui suivent avec angoisse la dégradation sécuritaire de leur pays natal.
« Situation difficile » : quand les citoyens prennent les choses en main
Fritz Alphonse Jean, président du Conseil Présidentiel de Transition, a salué « l’engagement » des citoyens tout en reconnaissant la « situation difficile » qu’ils vivent. Derrière ces mots diplomatiques se cache une réalité brutale : des communautés entières sont à la merci des gangs armés, et l’État peine à assurer leur protection.
Le Mouvement des Citoyens Engagés du Centre (MOCEC), l’une des organisations derrière cette action de protestation, reste vigilant. Son coordonnateur, Me Robenson Mazarin, prévient : « Toute décision visant à rouvrir la centrale, qui ne respecte pas les revendications légitimes de la population, est vouée à l’échec. »
Un Premier ministre sous pression
Face à cette crise, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a multiplié les réunions d’urgence. Ses « directives précises » pour un « rétablissement rapide, durable et sécurisé » du courant sonnent comme un engagement public dont il devra rendre compte.
Car au-delà de la technique, c’est bien la crédibilité de l’État qui est en jeu. Comment garantir un service public essentiel quand les citoyens perdent confiance en la capacité des autorités à assurer leur sécurité ?
Une trêve électrique, pas une solution
L’épisode de Péligre révèle une nouvelle forme de résistance citoyenne en Haïti. Face à l’inaction de l’État sur la question sécuritaire, les populations n’hésitent plus à utiliser les leviers à leur disposition – même si cela pénalise d’autres Haïtiens.
Cette stratégie du « pas de sécurité, pas d’électricité » pourrait faire école dans d’autres régions où les communautés se sentent abandonnées par les autorités.
Si Port-au-Prince retrouve progressivement la lumière, l’ombre des gangs plane toujours sur le Plateau central. Cette crise électrique aura au moins eu le mérite de remettre la question sécuritaire au cœur des priorités gouvernementales. Mais combien de temps cette trêve va-t-elle tenir ? La réponse dépendra de la capacité du gouvernement Fils-Aimé à honorer ses promesses sur le terrain sécuritaire. Dans le cas contraire, Péligre pourrait bien s’arrêter à nouveau, plongeant une fois de plus la capitale dans l’obscurité.