Face à la crise humanitaire qui secoue le pays, le gouvernement haïtien accélère son programme de relocalisation des déplacés internes. Plus de 3 600 chèques seront distribués d’ici fin juillet aux familles acceptant de quitter volontairement les sites d’hébergement d’urgence. Une stratégie qui divise entre pragmatisme et inquiétudes.
Depuis que les gangs ont pris le contrôle de larges pans de Port-au-Prince, des milliers de familles haïtiennes ont trouvé refuge dans des écoles, universités et bâtiments publics. Aujourd’hui, l’État tente de reprendre la main avec une approche qui mélange incitation financière et urgence sécuritaire.
3 653 chèques pour convaincre les familles
L’Office national de la migration (ONM) ne fait pas dans la demi-mesure. Selon son directeur général Jean Négot Bonheur Delva, 3 653 chèques seront distribués avant la fin du mois aux familles acceptant de partir. Le montant exact n’a pas été révélé, mais l’initiative témoigne d’une volonté gouvernementale de résoudre rapidement une crise qui paralyse le fonctionnement des institutions publiques.
La remise symbolique des locaux de l’ancienne Faculté de linguistique appliquée (FLA) à l’Université d’État d’Haïti ce mardi marque le coup d’envoi de cette opération. 302 familles ont déjà accepté l’offre et reçu leur compensation financière pour libérer les lieux.
23 000 personnes dans l’attente
Les chiffres donnent le vertige : depuis octobre 2024, 17 sites accueillent près de 23 000 personnes réparties en 10 000 ménages. Ces familles, fuyant la violence des gangs dans des quartiers comme Cité Soleil, Martissant ou Village de Dieu, se retrouvent aujourd’hui face à un dilemme : accepter l’aide gouvernementale ou rester dans la précarité des sites d’urgence.
L’État mise sur l’urgence de la rentrée scolaire pour accélérer le processus. Les bâtiments publics libérés devront être réhabilités avant septembre, un défi logistique considérable dans un pays aux ressources limitées.
Entre pragmatisme et interrogations
Cette approche soulève néanmoins des questions cruciales. Où iront ces familles une fois les chèques encaissés ? Les zones qu’elles ont fuies sont-elles redevenues sûres ? Le gouvernement assure vouloir « rétablir l’autorité publique et la sécurité territoriale », mais la réalité sur le terrain reste préoccupante dans de nombreux quartiers de la capitale.
Pour beaucoup d’observateurs, cette politique révèle l’ampleur du défi humanitaire que traverse Haïti. Distribuer de l’argent peut sembler plus simple que de sécuriser durablement les zones abandonnées par les populations ou de créer des logements décents.
Un test pour la crédibilité gouvernementale
L’implication de la Banque de la République d’Haïti (BRH) et de la Banque nationale de crédit (BNC) dans le processus témoigne de la volonté de sérieux de l’opération. Mais au-delà des aspects techniques, c’est la crédibilité de l’action publique qui se joue.
Cette initiative intervient alors que l’État haïtien peine à contrôler son territoire face à la montée en puissance des gangs. Réussir à reloger dignement les déplacés internes constituerait un signal fort de reprise en main, là où l’échec alimenterait davantage le sentiment d’abandon ressenti par la population.
Conclusion
Le pari gouvernemental est audacieux : transformer une crise humanitaire en opportunité de restauration de l’autorité publique. Mais derrière les chiffres et les annonces officielles, ce sont des milliers de familles haïtiennes qui espèrent retrouver un semblant de normalité.
L’efficacité de ce programme de relocalisation constituera un test crucial pour mesurer la capacité de l’État haïtien à protéger ses citoyens les plus vulnérables. Dans un pays où la confiance envers les institutions s’effrite chaque jour, ces 3 653 chèques portent bien plus que de l’aide financière : ils portent l’espoir d’un retour à la stabilité.