L’ancien patron de Blackwater déploiera « plusieurs centaines » de combattants américains, européens et salvadoriens pour combattre les gangs, avant de gérer la collecte des taxes douanières à la frontière dominicaine. Un contrat de dix ans qui soulève de nombreuses interrogations sur la souveraineté nationale.
Dix ans. C’est la durée du contrat qu’Erik Prince, fondateur de la controversée société militaire Blackwater, vient de signer avec l’État haïtien. Un accord qui va bien au-delà de la simple lutte contre les gangs : l’homme d’affaires américain, proche de Donald Trump, ambitionne de prendre en main la collecte des impôts à la frontière haïtiano-dominicaine une fois la sécurité rétablie.
Dans une interview accordée à Reuters, Prince révèle les détails de ce partenariat inédit entre son entreprise Vectus Global et Port-au-Prince. Un accord qui place Haïti dans une situation délicate, oscillant entre l’urgence sécuritaire et les risques d’une tutelle étrangère prolongée.
Des centaines de mercenaires en renfort
L’escalade militaire se précise. Selon une source proche des opérations, Vectus Global s’apprête à déployer « plusieurs centaines de combattants américains, européens et salvadoriens » dans les semaines à venir. Ces mercenaires, formés comme tireurs d’élite et spécialistes du renseignement, seront équipés d’hélicoptères et de bateaux pour intensifier la lutte contre les bandes armées qui contrôlent une grande partie du territoire national.
Prince, ancien Navy Seal, affiche une confiance surprenante : il espère reprendre le contrôle des principales routes en une année seulement. « Pour moi, l’un des principaux indicateurs de succès sera de pouvoir se rendre de Port-au-Prince à Cap-Haïtien dans un véhicule léger sans être arrêté par les gangs », déclare-t-il avec l’assurance de celui qui a déjà opéré en Irak et en Afghanistan.
Cette promesse fait écho aux préoccupations quotidiennes de millions d’Haïtiens, contraints de vivre terrés chez eux ou de fuir vers la République dominicaine, les États-Unis ou le Canada pour échapper à l’insécurité généralisée.
Un contrat aux zones d’ombre
Si l’urgence sécuritaire peut expliquer ce recours aux mercenaires, plusieurs aspects du contrat soulèvent des interrogations. Prince refuse de révéler les montants financiers en jeu, tant pour sa rémunération que pour les taxes qu’il compte percevoir à la frontière. Or, cette frontière représentait autrefois la moitié des recettes fiscales haïtiennes – un enjeu économique considérable.
Le nouveau président du Conseil de Transition, Laurent Saint-Cyr, investi le 7 août, n’a pas répondu aux demandes de commentaires des médias. Un silence qui contraste avec ses récentes déclarations appelant à « davantage de soldats » internationaux pour combattre les gangs.
Blackwater : un passé lourd de conséquences
L’arrivée d’Erik Prince en Haïti ne peut faire oublier son passé sulfureux. En 2007, des employés de Blackwater avaient tué 14 civils irakiens non armés sur la place Nisour à Bagdad – un massacre qui avait marqué l’opinion mondiale. Ces hommes, condamnés puis graciés par Trump, symbolisent les dérives possibles des sociétés militaires privées.
« Il est difficile d’imaginer qu’ils opèrent sans le consentement de l’administration Trump », observe Romain Le Cour Grandmaison, expert de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée. Une remarque qui souligne les enjeux géopolitiques de cette intervention, dans un contexte où les États-Unis affirment pourtant n’avoir « aucune implication » dans ce contrat.
Les sénateurs américains s’inquiètent
L’initiative de Prince ne fait pas l’unanimité, même aux États-Unis. En juillet, neuf sénateurs américains ont écrit au secrétaire d’État Marco Rubio et à la secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem pour exiger des explications sur cette opération. Ils soupçonnent une possible violation de l’Arms Export Control Act, qui interdit l’exportation de matériel militaire sans autorisation expresse.
Les questions posées par les sénateurs révèlent leurs préoccupations : des licences d’exportation ont-elles été accordées ? Les risques pour la paix internationale et les droits humains ont-ils été évalués ? Cette mission interfère-t-elle avec celle des casques bleus de l’ONU ?
Un précédent inquiétant
L’expérience d’autres sociétés de sécurité en Haïti n’incite pas à l’optimisme. Plus tôt cette année, l’entreprise américaine Studebaker Defense a abandonné sa mission après l’enlèvement de deux de ses membres, vraisemblablement victimes de la corruption de policiers locaux.
« Le recours à des sociétés militaires privées ne peut être considéré comme une solution à l’insécurité en Haïti », met en garde Gédéon Jean, directeur du Centre d’analyse et de recherche sur les droits de l’homme. Il s’inquiète des violations potentielles des droits humains et questionne la priorité donnée à une entreprise étrangère alors que les forces de sécurité haïtiennes manquent cruellement de moyens.
Haïti se trouve aujourd’hui à un carrefour historique. Faut-il accepter cette tutelle militaire et fiscale étrangère pour retrouver la paix ? Ou existe-t-il d’autres voies pour sortir de cette crise sans hypothéquer davantage la souveraineté nationale ? Pour les familles haïtiennes qui rêvent simplement de circuler librement entre Port-au-Prince et Cap-Haïtien, comme pour celles de la diaspora qui espèrent un jour rentrer au pays, ces questions ne sont pas théoriques. Elles détermineront l’avenir même de la nation haïtienne.