Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé est rentré jeudi de sa mission diplomatique aux États-Unis avec des promesses de soutien renforcé pour la sécurité et l’aide aux migrants haïtiens. Mais face à l’accueil mitigé à l’aéroport, la population reste partagée entre espoir et méfiance.
Un retour théâtral à l’aéroport Toussaint Louverture
L’aéroport international Toussaint Louverture a vécu jeudi matin une scène digne des grandes heures de la politique haïtienne. D’un côté, des sympathisants mobilisés dès l’aube, brandissant des pancartes « Stabilite se priyorite n » et « Ayiti pou lapè », ont accueilli le Premier ministre dans une ambiance de carnaval avec des bandes de rara et des motards. De l’autre, un groupe de contestataires scandait des slogans hostiles, dénonçant ce qu’ils considèrent comme l’échec de la transition actuelle.
Cette double mobilisation, qui a paralysé la circulation sur la route de l’aéroport et à Delmas 31, reflète parfaitement l’état d’esprit d’une population haïtienne tiraillée entre l’espoir d’un changement et la lassitude face aux promesses non tenues.
Washington : des discussions cruciales sur la sécurité
Au cœur de cette mission de six jours se trouvait la question sécuritaire, talon d’Achille du gouvernement haïtien. Accompagné de Mario Andrésol, secrétaire d’État à la Sécurité publique, Fils-Aimé a plaidé auprès des officiels américains pour un renforcement de la Police nationale haïtienne (PNH) et de la Mission multinationale d’appui à la sécurité.
Plus stratégiquement, le Premier ministre a insisté pour que les autorités haïtiennes soient désormais associées aux décisions concernant les équipements fournis à la PNH. Une revendication légitime quand on sait que les forces de l’ordre haïtiennes connaissent mieux que quiconque les réalités du terrain face aux gangs armés.
Un plaidoyer pour la diaspora haïtienne
Moment fort de ce voyage : les rencontres avec des membres du Congrès américain, démocrates et républicains confondus. Fils-Aimé y a défendu le dossier sensible des compatriotes haïtiens bénéficiaires du programme TPS (Temporary Protected Status) et du programme humanitaire, demandant une extension de ces mesures de protection.
Cette démarche résonne particulièrement auprès des quelque 200 000 Haïtiens vivant aux États-Unis sous le statut TPS, constamment dans l’incertitude quant à leur avenir. Pour les familles haïtiennes, ces programmes représentent souvent la différence entre la survie et le retour forcé dans un pays en proie à l’insécurité.
L’élargissement du soutien international
Au-delà des États-Unis, le Premier ministre a rencontré le secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) pour explorer l’implication d’autres pays dans la lutte contre l’insécurité. Cette approche multilatérale prend tout son sens avec l’annonce de la visite du président colombien Gustavo Petro et de son Premier ministre ce vendredi 18 juillet.
La Colombie, qui a une expérience douloureuse mais riche en matière de lutte contre les groupes armés, pourrait apporter une expertise précieuse à Haïti. Cette coopération sud-sud représente une alternative intéressante à la dépendance traditionnelle vis-à-vis des puissances occidentales.
Entre discours et réalité : le défi de la crédibilité
« Je me livre corps et âme dans le travail de la population », a déclaré Fils-Aimé à ses sympathisants. Des mots qui sonnent familiers aux oreilles des Haïtiens, habitués aux promesses politiques. Le véritable test sera la traduction concrète de ces discussions diplomatiques en améliorations tangibles sur le terrain.
Pour une population qui voit quotidiennement les gangs étendre leur emprise territoriale, qui subit les conséquences de l’effondrement économique, et qui assiste impuissante à la dégradation des services publics, les belles paroles ne suffiront plus.
L’heure de vérité approche
Le retour de Washington marque peut-être un tournant dans l’approche diplomatique haïtienne. Mais entre les promesses de soutien international et leur mise en œuvre effective, il y a souvent un gouffre que connaissent bien les Haïtiens, qu’ils vivent à Port-au-Prince, aux Gonaïves ou à Miami.
La visite imminente du président colombien et les prochaines semaines diront si cette mission aura été un simple exercice de communication ou le début d’un véritable changement de donne pour Haïti. En attendant, la population garde un œil attentif sur les actes plutôt que sur les discours.