Sanjay Singh, 45 ans, vient d’écoper de 23 ans de prison pour avoir orchestré une vaste escroquerie qui a coûté 54 millions de dollars à près de 2000 investisseurs, majoritairement haïtiens. Propriétaire d’une entreprise de déménagement en Floride, cet homme d’affaires avait promis des rendements mirobolants en comparant sa société de camions… à Apple et Tesla. Une arnaque qui révèle la vulnérabilité persistante de la diaspora haïtienne face aux « fraudes par affinité ».
Royal Bengal : quand les camions valent mieux que les actions Tesla
« Notre produit est meilleur qu’Apple. Notre produit est meilleur que Tesla », proclamait Sanjay Singh lors d’une visioconférence Zoom en novembre 2022. Face à des investisseurs haïtiens séduits par ses promesses, le propriétaire de Royal Bengal Logistics Inc. vendait du rêve américain à coups de comparaisons délirantes.
La réalité était tout autre. Entre 2020 et 2023, Singh a collecté 158 millions de dollars auprès d’investisseurs issus majoritairement de la classe ouvrière : infirmières, enseignants, vétérans, nombreux d’origine haïtienne. Au lieu d’investir dans sa flotte de camions comme promis, il finançait sa Mercedes, rénovait sa maison de Coral Springs et spéculait en bourse.
La diaspora haïtienne, cible privilégiée des escrocs de Floride
Cette affaire Singh illustre parfaitement ce que les autorités appellent les « fraudes par affinité ». En Floride, épicentre national de l’arnaque, les communautés d’immigrants – haïtienne, cubaine, colombienne, vénézuélienne – sont devenues des proies de choix pour les escrocs.
Pourquoi ? Parce que la confiance y circule par réseaux. Un compatriote, un ami d’ami, quelqu’un qui « connaît quelqu’un » recommande un investissement. Dans la communauté haïtienne, où l’entraide financière fait partie de la culture (tontines, investissements collectifs), cette confiance devient une arme entre les mains des prédateurs.
Singh avait d’ailleurs embauché des Américains d’origine haïtienne dans son équipe, notamment Ricardi Celicourt comme vice-président du développement commercial. Une stratégie classique : placer des visages familiers pour rassurer les investisseurs potentiels.
Des économies de toute une vie parties en fumée
Le témoignage d’une victime de 66 ans, déposé au tribunal, résume le drame humain : « Vous nous avez volé notre bonheur, notre retraite, notre liberté financière ». Cet homme a dû reprendre le travail après avoir perdu toutes ses économies.
Beaucoup d’investisseurs avaient misé entre 25 000 et 250 000 dollars – souvent les économies d’une vie, l’argent destiné à la retraite, aux études des enfants ou à l’achat d’une maison. Pour des familles haïtiennes qui ont souvent quitté leur pays avec peu de moyens, ces montants représentent des années de sacrifices et de labeur.
Un système de Ponzi classique déguisé en success story
Le procès a révélé le mécanisme typique : Singh utilisait l’argent des nouveaux investisseurs pour payer les anciens, créant l’illusion de rendements exceptionnels. Pendant ce temps, Royal Bengal accusait 18 millions de dollars de pertes opérationnelles depuis 2019.
« Il ne faisait que mentir, mentir, mentir – il jouait en bourse », a martelé le procureur Robert Moore. « C’était le Titanic. C’était un navire en perdition. »
Singh promettait pourtant monts et merveilles : sa flotte passerait à 200 semi-remorques, il construirait un centre de maintenance au Texas, l’entreprise générait prétendument jusqu’à 1 million de dollars de revenus mensuels.
Un écosystème familial de l’escroquerie
L’affaire ne s’arrête pas à Singh. La SEC (autorité des marchés financiers) poursuit également son épouse Sheetal et Constantina Celicourt, épouse du vice-président de l’entreprise. Bien qu’elles ne soient accusées d’aucun acte criminel, les autorités cherchent à récupérer les fonds qu’elles auraient reçus du système de Ponzi.
Cette dimension familiale rappelle que les grandes escroqueries impliquent souvent tout un entourage, conscient ou non des activités illégales.
La Floride, paradis des arnaqueurs
Le sud de la Floride mérite décidément son titre de « capitale nationale de l’arnaque ». Après les célèbres affaires Bernard Madoff et Scott Rothstein, l’État continue d’attirer les escrocs en tout genre : fraudes à la santé, aux impôts, aux cartes de crédit, systèmes de Ponzi sophistiqués.
Cette concentration s’explique par plusieurs facteurs : importante population d’immigrants souvent moins familiers du système financier américain, climat d’affaires attractif, et proximité avec l’Amérique latine et les Caraïbes facilitant les flux d’argent.
Un réveil douloureux pour la diaspora
Au-delà du cas Singh, cette affaire pose des questions fondamentales à la communauté haïtienne de Floride. Comment mieux se protéger ? Comment vérifier la légitimité d’un investissement ? Comment résister à la pression communautaire quand « tout le monde » investit ?
La leçon est amère : méfiance ne signifie pas trahison de la solidarité communautaire. Vérifier les licences, exiger des documents officiels, consulter des conseillers financiers indépendants ne remet pas en cause l’entraide haïtienne traditionnelle.
Sanjay Singh purge désormais sa peine de 23 ans. Une audience de restitution est prévue le 26 juin pour déterminer les montants à rembourser aux victimes. Mais combien récupéreront réellement leur mise ? L’histoire des escroqueries financières montre que les victimes ne revoient généralement qu’une fraction de leurs investissements.
Pour la diaspora haïtienne, l’heure est au bilan : comment transformer cette douloureuse expérience en apprentissage collectif pour éviter que d’autres Singh exploitent la confiance de nos communautés ?