Le 7 février 1986, Haïti tournait une page historique avec le renversement de la dictature des Duvalier. Cette date marquait l’espoir d’un renouveau démocratique, promis par la Constitution de 1987. Pourtant, 39 ans plus tard, force est de constater que cet espoir s’est progressivement effrité, victime de manipulations, d’erreurs d’ingénierie démocratique et de la mauvaise foi d’une partie des élites politiques et économiques.
Depuis 1986, l’expérience démocratique haïtienne ressemble davantage à un tableau trompeur qu’à une véritable transformation politique. La Charte de 1987, censée inaugurer une nouvelle ère de gouvernance démocratique, est restée largement lettre morte. Les institutions, au lieu d’être renforcées, ont été systématiquement affaiblies. Au lieu de soutenir la structuration et l’institutionnalisation des partis politiques, ces derniers ont été systématiquement affaiblis par l’État. Résultat : en 2023, le rapport de Freedom House sur l’état de la démocratie dans le monde classait Haïti parmi une trentaine de pays ayant connu un recul démocratique constant au cours des dix dernières années. L’édifice politique, fragilisé, s’effrite sous le poids de cette crise mal nommée.

L’absence d’un Conseil électoral permanent, la dissolution automatique et arbitraire des législatures et la multiplication des présidences provisoires sont autant de signes inquiétants de l’expérience politique haïtienne. En 39 ans, le pays a connu plus de gouvernements intérimaires que de présidents élus à l’issue d’un processus démocratique crédible.
Il ne s’agit pas de remettre en question la démocratie elle-même, comme certains le font, mais plutôt ceux qui, par intérêt ou méconnaissance, refusent de construire et de renforcer les institutions nécessaires à son essor. La démocratie, a-t-on appris, ne peut exister sans institutions solides et fortes, sans partis politiques institutionnalisés et ancrés dans une véritable culture démocratique. Or, ce n’est pas ce à quoi nous observons en Haïti. C’est plutôt l’inverse et ceci, de manière systématique. C’est pourquoi, ce n’est pas « la transition qui n’en finit pas », comme le croit Pierre-Raymond Dumas, mais plutôt d’un véritable leurre démocratique qu’il s’agit.
Si nous voulons construire une démocratie véritable, nous devons cesser de faire semblant. En 39 ans de va-et-vient vers nulle part, il faut qu’on s’arrête un instant, appeler un chat « un chat » et définir pour de vrai, ce qu’on veut faire du pas. Car ce n’est pas d’un changement cosmétique dont nous avons besoin, mais d’un véritable changement de paradigme.