Une crise alimentaire sans précédent frappe Haïti, aggravée par les gangs, l’inflation et l’arrêt de l’aide humanitaire

Port-au-Prince Haïti sombre dans une crise alimentaire d’une gravité historique. Selon la dernière analyse du Cadre Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire (IPC) pour la période de mars à juin 2025, 5,7 millions de personnes – soit 51 % de la population analysée – vivent en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Parmi elles, 2,1 millions sont en phase d’Urgence (Phase 4) et 8 400 en phase de Catastrophe (Phase 5), un seuil synonyme de famine. Ces chiffres, publiés le 16 avril par la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA), témoignent d’une détérioration alarmante, alimentée par la violence des gangs, des déplacements massifs et une économie en chute libre.

Une crise humanitaire hors de contrôle

La situation en Haïti a franchi un seuil critique. Comparée à la période d’août 2024 à février 2025, la population en insécurité alimentaire aiguë (Phase 3 ou plus) a bondi de 300 000 personnes. Le nombre de personnes en Phase 5, principalement dans les camps de déplacés, a grimpé de 5 600 à 8 400. Seize zones, dont le Haut-Artibonite, Cité Soleil, la Grand’Anse, les Nippes et plusieurs quartiers pauvres de Port-au-Prince, sont désormais classées en Phase 4, une étape précédant la famine. L’Artibonite HT01, jusque-là en Phase 3 (Crise), a basculé en Phase 4, signalant une aggravation rapide.

La violence des gangs, qui contrôlent environ 85 % de Port-au-Prince et s’étendent à des régions comme l’Artibonite et l’Ouest, est le principal moteur de cette crise. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), 1,04 million de personnes étaient déplacées internes en décembre 2024, une hausse de 48 % par rapport à juin de la même année. Ces déplacements massifs privent les familles de leurs moyens de subsistance, qu’il s’agisse de petits commerces, d’emplois informels ou de cultures agricoles.

« Les gangs ne se contentent pas de semer la terreur, ils paralysent l’économie et les chaînes d’approvisionnement », explique Jean-Martin Bauer, directeur du Programme Alimentaire Mondial (PAM) en Haïti. Les routes bloquées, les marchés désertés et les ports perturbés ont fait exploser les prix alimentaires, dans un contexte où l’inflation atteignait 30 % en février 2025. Pour beaucoup, acheter de quoi manger est devenu un luxe inaccessible.

Une économie informelle à l’agonie

L’économie informelle, qui soutient la majorité des Haïtiens, est en lambeaux. Les petits commerçants, artisans et agriculteurs, déjà fragilisés par des années de crises, voient leurs revenus s’effondrer. En milieu rural, les faibles rendements agricoles, dus à des techniques de production obsolètes et à l’absence d’investissements, ne permettent pas de répondre aux besoins nationaux. « Même dans les zones moins touchées par la violence, les paysans ne peuvent plus écouler leurs produits à cause des barrages routiers et de l’insécurité », témoigne Marie-Lourde, une agricultrice de l’Artibonite.

À cela s’ajoute l’arrêt brutal, depuis janvier 2025, de nombreux programmes d’assistance humanitaire. Entre août 2024 et février 2025, près de 977 000 Haïtiens recevaient une aide alimentaire couvrant 25 à 50 % de leurs besoins, un rempart essentiel contre la famine. Mais l’incertitude autour des financements internationaux a conduit à la suspension de ces programmes, laissant des millions de personnes sans soutien. « Sans cette aide, des familles entières basculent vers la faim extrême », alerte la CNSA.

Une réponse humanitaire urgente mais insuffisante

Face à cette catastrophe, les acteurs humanitaires lancent un appel désespéré. « Une reprise immédiate de l’assistance alimentaire, en particulier dans les camps de déplacés et les zones en Phase 4, est indispensable pour sauver des vies », insiste la CNSA. Pourtant, les défis sont colossaux. La police nationale, l’armée et la mission multinationale dirigée par le Kenya – limitée à 1 000 agents sur les 2 500 prévus – peinent à contenir l’expansion des gangs, qui conquièrent de nouveaux territoires, comme Mirebalais et Saut-d’Eau.

Le contexte sécuritaire rend l’acheminement de l’aide extrêmement difficile. « Les convois humanitaires sont souvent attaqués ou bloqués. Sans sécurité, nous ne pouvons pas atteindre ceux qui en ont le plus besoin », déplore un travailleur humanitaire basé à Port-au-Prince, sous couvert d’anonymat. Les organisations appellent également à des investissements dans des programmes de résilience, comme la modernisation de l’agriculture et le soutien aux petits commerces, pour briser le cycle de la dépendance alimentaire.

Un pays au bord du précipice

La crise alimentaire n’est qu’un symptôme d’un mal plus profond qui ronge Haïti : l’instabilité chronique, aggravée par la faiblesse des institutions et l’absence d’une gouvernance efficace. Le conseil présidentiel transitoire, en place depuis un an, est critiqué pour son incapacité à répondre à l’urgence. Sur les réseaux sociaux, les Haïtiens expriment leur désespoir, décrivant un pays « abandonné à son sort » face à la violence et à la misère.

Alors que 5,7 millions de personnes luttent pour survivre, Haïti se trouve à un tournant. Sans une mobilisation internationale rapide et coordonnée, le pays risque de sombrer dans une famine généralisée, une tragédie qui marquerait un point de non-retour pour cette nation déjà à genoux.

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