Plus de la moitié de la population haïtienne souffre d’insécurité alimentaire aiguë, plaçant le pays dans le cercle fermé des cinq nations les plus menacées de famine au monde. Un cri d’alarme qui résonne jusqu’à Brooklyn, Miami et Montréal.
Imaginez Port-au-Prince, Cap-Haïtien, Les Cayes et toutes les communes d’Haïti réunies : c’est exactement 5,7 millions d’Haïtiens – soit plus de la moitié de nos compatriotes – qui se couchent chaque soir sans savoir s’ils mangeront le lendemain. Cette réalité glaçante, révélée par Jean-Martin Bauer, expert du Programme alimentaire mondial (PAM), place Haïti aux côtés du Soudan, du Sud-Soudan, du Mali et de Gaza dans le triste classement des pays les plus menacés de famine.
La faim, nouvelle compagne des familles haïtiennes
Les chiffres donnent le vertige : sur ces 5,7 millions d’Haïtiens en insécurité alimentaire, 2 millions vivent une situation d’urgence absolue. Pire encore, près de 8 000 personnes se trouvent en phase « catastrophe » – un niveau si critique qu’il frôle la famine. Ces victimes de la faim vivent principalement dans les camps de déplacés, où 1,3 million d’Haïtiens – soit 10% de la population – ont été contraints de fuir leur foyer à cause de la violence des gangs.
Pour les familles haïtiennes de la diaspora qui envoient régulièrement de l’argent au pays, ces statistiques résonnent douloureusement. Combien de nos proches figurent-ils parmi ces millions d’affamés ? Combien de nos voisins d’enfance survivent-ils grâce aux quelques dollars envoyés depuis Boston ou Paris ?
« Pas encore la famine, mais… »
Jean-Martin Bauer, ancien directeur du PAM en Haïti, se veut précis : « On n’en est pas encore au stade de famine, mais il y a des facteurs de risque. » Selon lui, la définition formelle de la famine exige qu’au moins 20% de la population d’une zone donnée atteigne certains seuils critiques. Haïti n’y est pas encore, mais les signaux d’alarme clignotent au rouge.
« Ce déplacement massif de la population depuis si longtemps, la chute des financements humanitaires, les grandes difficultés d’accès pour les humanitaires… on n’exclut pas qu’il y ait des zones localisées où une famine pourrait survenir si l’on n’intervient pas à temps », prévient-il.
Le PAM à bout de souffle
Face à cette urgence, le PAM fait face à ses propres difficultés. Sur un budget de 300 millions de dollars, l’organisation accuse déjà un déficit de 155 millions pour l’année à venir. Une situation qui force l’interruption de programmes vitaux, comme la distribution de repas chauds aux déplacés.
Pourtant, les besoins ne cessent de grandir. Cette année, le PAM a déjà assisté 1,7 million de personnes à travers des transferts monétaires et des programmes de cantines scolaires touchant près d’un demi-million d’élèves. Ces repas scolaires, préparés avec des produits locaux achetés à de petits producteurs haïtiens, représentent souvent le seul repas décent de la journée pour ces enfants.
Une exception américaine inquiétante
Ce qui rend la situation haïtienne particulièrement alarmante, c’est sa singularité sur le continent américain. Aucun autre pays des Amériques – ni en Amérique latine, ni dans la Caraïbe – ne figure dans cette liste des cinq nations les plus menacées de famine. Haïti fait tristement exception.
« La crise alimentaire en Haïti a trop duré. Il faut trouver des solutions, car l’insécurité alimentaire, la faim, détruisent le tissu social », avertit Jean-Martin Bauer. Pour lui, les conséquences dépassent la simple faim individuelle : « c’est un phénomène qui peut miner toute une société. »
Alors que nos compatriotes luttent quotidiennement contre la faim, la question qui hante la diaspora haïtienne reste la même : comment pouvons-nous, depuis nos nouvelles terres d’accueil, contribuer à briser ce cercle vicieux qui étouffe notre pays natal ? Car derrière ces chiffres se cachent des visages familiers, des histoires humaines qui nous rappellent que chaque don, chaque geste de solidarité peut faire la différence.