À l’occasion de la Journée internationale contre la drogue, la Commission nationale de lutte contre la drogue (CONALD) a célébré ses 23 ans d’existence en dressant un constat alarmant : Haïti est devenu une plaque tournante du trafic de stupéfiants. Face à ce défi majeur, l’institution appelle à une mobilisation générale impliquant toute la société haïtienne.

Un anniversaire sous le signe de l’urgence

Le mercredi 26 juin 2024, dans un hôtel de Pétion-ville, la CONALD a organisé une journée de réflexion qui a rassemblé un public diversifié : représentants du BINUH, membres du corps diplomatique, cadres ministériels, agents de la BLTS et surtout, une forte délégation de jeunes venus de différents établissements scolaires. Cette présence massive de la jeunesse n’était pas fortuite, elle traduit la volonté de l’institution de faire de cette génération le fer de lance de la prévention.

L’événement s’articulait autour de deux thèmes révélateurs de l’ampleur du défi : au niveau national, « La lutte contre la drogue, une responsabilité partagée », et au niveau international, le slogan de l’ONUDC : « Les faits sont là : investissons dans la prévention. Brisons le cycle. Stoppons le crime organisé. »

Haïti, carrefour du trafic international

Sancho Coutinho, représentant du Bureau intégré des Nations unies en Haïti, n’a pas utilisé la langue de bois pour décrire la réalité haïtienne. « La lutte contre le trafic de la drogue est aujourd’hui à un carrefour critique », a-t-il déclaré sans détour. Les rapports onusiens placent régulièrement Haïti sur la carte mondiale comme une zone de transit privilégiée pour les stupéfiants.

Cette position géographique stratégique, entre l’Amérique du Sud productrice et l’Amérique du Nord consommatrice, fait d’Haïti un point de passage obligé pour les narcotrafiquants. Mais le problème va bien au-delà de la simple géographie. « C’est un cercle vicieux où se croisent drogue, trafic d’armes, criminalité et fragilité institutionnelle », a souligné M. Coutinho, pointant du doigt les liens dangereux entre ces différents fléaux qui paralysent le pays.

Une approche globale face à un défi complexe

Karl-Henry Périclès, coordonnateur de la CONALD, a insisté sur la nécessité d’une approche holistique. « Face à ce danger, notre priorité doit être la prévention », a-t-il martelé, définissant une stratégie à double volet. D’une part, la réduction de la demande par l’éducation, le renforcement de la santé mentale, l’inclusion sociale et la sensibilisation. D’autre part, la réduction de l’offre grâce au renforcement des capacités des forces de sécurité, des services de renseignement et de l’appareil judiciaire.

Pour M. Périclès, cette bataille ne peut être gagnée par les seules forces de l’ordre. Elle exige une coordination étroite entre l’État, la société civile et les partenaires internationaux. « C’est une responsabilité partagée », a-t-il répété, soulignant que chaque citoyen a un rôle à jouer dans cette lutte.

Des experts dressent un diagnostic sans complaisance

Trois panels thématiques ont permis d’approfondir les différents aspects de cette problématique complexe. Le premier panel s’est penché sur les conséquences économiques dévastatrices du trafic, notamment le blanchiment d’argent et la corruption. Me Laurent Théralien de l’UCREF et Atzer Alcindor de l’ULCC ont mis en lumière les failles du cadre légal et les obstacles majeurs rencontrés dans la traque des fonds illicites.

Le deuxième panel a abordé la question préoccupante des nouvelles substances psychoactives. Dr Frédéric François, Esther Lahens et Sindy Désir ont alerté sur les effets dévastateurs de ces drogues sur la santé mentale, les risques d’addiction chez les jeunes, et l’urgence de renforcer les programmes de traitement et de prévention.

Le troisième panel a exploré le rôle crucial du système judiciaire. Me Guy Alexie, l’inspecteur principal Rodolphe Léger du BAFE, le juge de paix Me Cleberson Jean-Baptiste et l’inspecteur divisionnaire François Wilmann ont dressé un constat sévère : manque de moyens, impunité généralisée et besoin urgent de formation spécialisée pour traiter les dossiers de criminalité organisée.

La jeunesse haïtienne, espoir d’une génération

Ce qui a particulièrement marqué cette journée, c’est la forte mobilisation des jeunes. Cette présence massive témoigne de la volonté de la CONALD de faire de cette génération un acteur central de la prévention. « Nous devons investir aujourd’hui pour ne pas payer le prix de demain », a affirmé un élève interrogé par nos journalistes, démontrant que la jeunesse haïtienne est consciente des enjeux et prête à s’engager.

Cette approche résonne particulièrement dans un pays où la jeunesse représente une part importante de la population. Pour nos compatriotes de la diaspora, qui suivent avec inquiétude l’évolution de la situation, cet engagement des jeunes peut représenter un signe d’espoir dans un contexte souvent sombre.

Un appel à l’action collective

Après 23 ans d’existence, la CONALD lance un cri d’alarme : sans une mobilisation générale, Haïti risque de sombrer davantage dans la spirale de la violence et du trafic. Le message est clair et interpelle chaque Haïtien, qu’il soit au pays ou à l’étranger.

Dans un contexte où les gangs armés contrôlent une partie du territoire national et où la drogue alimente les circuits de violence, la lutte antidrogue dépasse le simple cadre sécuritaire. Elle devient un enjeu de survie nationale qui nécessite l’engagement de tous : familles, écoles, églises, organisations communautaires et diaspora.

Car comme l’a souligné un participant : « La lutte contre la drogue ne se gagne pas dans les discours, mais dans les actes, la vigilance collective et la volonté politique. » Une leçon qui résonne particulièrement fort dans une Haïti en quête de stabilité et d’avenir pour sa jeunesse.

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