Haïti est en guerre. Nous ne cessons de le dire, et pourtant, cela semble se noyer dans le tumulte de l’indifférence. Oui, le pays est en guerre. Si le nombre de personnes assassinées, les quartiers entiers abandonnés aux gangs, ou les attentats répétitifs qui traumatisent notre quotidien ne suffisent pas à convaincre, alors rien ne pourra alerter davantage sur la gravité de notre situation.
En juin dernier, l’Institut pour l’Économie et la Paix (IEP), un think tank basé à Sydney, en Australie, a publié la 18e édition de son Indice de Paix Mondiale. Le rapport est sans appel : Haïti est classée 143e sur 163 pays. Cette place n’est pas simplement un chiffre, c’est une alerte rouge. Haïti figure parmi les nations où la paix s’est le plus dégradée, aux côtés de l’Équateur, du Gabon, de la Palestine et d’Israël. Tandis que des pays comme le Salvador, autrefois gangréné par la violence, ont réussi à améliorer leur situation, nous sombrons davantage dans le chaos.
L’édition 2024 de cet index révèle un fait frappant : 56 conflits actifs dans le monde aujourd’hui, soit le chiffre le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n’est pas qu’une question de quantité. Le rapport souligne que moins de conflits sont résolus, que ce soit par la force ou par des accords de paix. Ce constat ne traduit pas seulement un monde en guerre, mais un monde où la paix elle-même est en déclin, victime d’un désintérêt global et d’une concurrence féroce entre grandes puissances.
Port-au-Prince : l’épicentre d’une guerre silencieuse
En Haïti, nous avons perdu la paix depuis bien longtemps, surtout dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Ce qui se joue ici dépasse le simple banditisme ou le chaos politique ; c’est une guerre interne, une guerre qui n’a pas été déclarée officiellement, mais qui détruit des vies, des familles et des communautés entières.
Le contrôle de nombreux quartiers est passé entre les mains de gangs lourdement armé. Ces zones, désormais inaccessibles, sont devenues des “territoires hors-la-loi, ou disons plutôt “perdus” où la population vit dans une terreur constante, privée de droits, de services publics et de l’espoir même d’une vie normale. À Port-au-Prince, ce n’est plus simplement un problème de sécurité : c’est une guerre urbaine, une guerre psychologique, une guerre contre l’idée même de vivre en paix.
Un monde en guerre : Haïti n’est pas une île isolée
Cette guerre interne en Haïti se déroule dans un contexte mondial où la paix est de moins en moins priorisée. Les grandes puissances rivalisent pour des ressources, des territoires et des sphères d’influence. Récemment, le président élu des États-Unis, Donald Trump, a laissé entendre qu’il n’écartait pas la possibilité d’une intervention militaire au Canal de Panama ou au Groenland. Cette déclaration illustre une tendance inquiétante : la montée en puissance des conflits internationaux.
Alors que le monde se réarme, que les guerres deviennent plus complexes et que les accords de paix se raréfient, nous devons nous demander si Haïti est prête à affronter cette nouvelle réalité géopolitique. Devons-nous seulement craindre les gangs locaux, ou devons-nous aussi anticiper des menaces extérieures potentielles ?
Une lucidité nécessaire face à l’inévitable
Ne perdons pas notre lucidité. Ce que nous vivons aujourd’hui à Port-au-Prince n’est pas une anomalie. C’est une conséquence prévisible d’un État affaibli, de décennies de mauvaise gouvernance et d’une communauté internationale qui nous masque son indifférence. Mais il y a pire dans les probabilités. Si nous n’agissons pas, si nous ne changeons pas de cap, les souffrances actuelles ne seront qu’un prélude à des catastrophes plus grandes encore.
La paix n’est pas simplement l’absence de guerre. C’est la garantie d’un environnement où les citoyens peuvent vivre sans crainte, où les droits humains sont protégés et où l’État remplit ses fonctions régaliennes. En Haïti, cette paix est un souvenir lointain.