Port-au-Prince, 2 avril 2025 – L’insécurité galopante qui gangrène Port-au-Prince et ses environs n’épargne aucun secteur de la société. Toutefois, c’est l’éducation qui en subit les conséquences les plus dévastatrices. Avec près de 85 % de la capitale sous le contrôle de groupes armés, des milliers d’écoles sont contraintes de fermer, privant ainsi une génération entière de l’un de ses droits les plus fondamentaux : celui à l’instruction.
Aller à l’école, un pari dangereux
Chaque matin, aller à l’école devient une épreuve pour de nombreux élèves et leurs familles. La peur accompagne chaque trajet, et rentrer sain et sauf chez soi relève parfois du miracle. « C’est avec une peur indicible que j’envoie ma fille à l’école », témoigne une mère de Delmas 40 B. « Mais puis-je me résoudre à la priver d’un avenir ? ».
Les dernières vagues de violence ont transformé des quartiers stratégiques – Lalue, Bois-Verna, Pacot, Turgeau et Canapé-Vert – en zones de guerre. Des établissements prestigieux comme le Collège Saint-François d’Assise ou l’École des Bonnes Sœurs du Sacré-Cœur ont été touchés par les affrontements, forçant de nombreux écoles à fermer leurs portes. Face à ces attaques, Canapé-Vert, jadis symbole de la vitalité culturelle de Port-au-Prince, se transforme en forteresse assiégée, où des barricades de fortune tentent de contenir la progression des gangs.
Une fracture éducative qui s’aggrave
Face à l’impossibilité pour beaucoup de se rendre physiquement à l’école, l’enseignement à distance devient un recours inévitable. Pourtant, il met en lumière de profondes inégalités.
Les élèves issus de familles aisées disposent de matériel informatique, d’une connexion stable et d’un environnement propice à l’apprentissage. Ils peuvent suivre leurs cours sur Zoom ou Google Classroom, avec des enseignants formés aux outils numériques. En revanche, les élèves des milieux défavorisés doivent se contenter de « l’école WhatsApp », où les devoirs sont envoyés en messages vocaux et les exercices sous forme de PDF, dans un contexte de connexion instable et d’accès limité à l’électricité.
Pour de nombreuses familles, un téléphone unique doit être partagé entre plusieurs enfants. Dans les foyers monoparentaux, les mères doivent jongler entre leur travail et le besoin de fournir un accès à l’enseignement pour leurs enfants, souvent au prix de sacrifices énormes.
Quelles solutions pour sauver l’éducation en Haïti ?
L’État haïtien fait face à un choix crucial : agir maintenant pour sauver l’avenir de ses enfants ou risquer une fracture sociale irréversible.
- Protéger les établissements scolaires : Il est urgent de mettre en place des zones éducatives sécurisées et d’organiser des corridors protégés pour permettre aux élèves et enseignants de se rendre en classe sans crainte.
- Démocratiser l’enseignement à distance : L’État doit élaborer un plan national d’enseignement numérique, en fournissant du matériel informatique aux familles vulnérables, en créant des plateformes éducatives adaptées et en subventionnant un accès Internet destiné à l’éducation.
- Soutenir les élèves en difficulté : Des centres d’accompagnement scolaire doivent être créés pour offrir un suivi pédagogique aux enfants déscolarisés.
- Repenser l’avenir de l’éducation : Un dialogue national impliquant enseignants, parents, société civile et experts est nécessaire pour adapter le système éducatif aux réalités actuelles et trouver des solutions durables.
Un avenir en suspens
Laisser l’éducation se dégrader, c’est condamner Haïti à un avenir encore plus incertain. La crise actuelle ne doit pas mener à une génération sacrifiée. Sauver l’école, c’est garantir à chaque enfant haïtien la possibilité de rêver, d’apprendre et de bâtir un avenir meilleur. Le temps de l’inaction est révolu. L’heure est venue d’agir.