Parler d’élections en Haïti aujourd’hui relève de la fiction politique. C’est comme promettre un avenir radieux à un peuple qu’on a condamné à l’obscurité.
Le mot “élection” revient dans les discours des acteurs politiques et diplomatiques, comme un mantra censé rétablir la démocratie.
Mais il faut oser le dire : Haïti n’a ni les conditions, ni les structures, ni la sécurité nécessaires pour voter. Et faire croire le contraire, c’est participer à une mascarade qui n’a rien de démocratique.
Une capitale sous siège, un État absent
La zone métropolitaine de Port-au-Prince n’est plus un territoire national : c’est un archipel de zones rouges, morcelé, déchiré par des gangs armés qui imposent leurs propres lois. Des quartiers entiers sont inaccessibles. Les routes nationales, jadis artères vitales du pays, sont aujourd’hui des pièges où circuler relève du courage — ou du désespoir. Les commissariats sont vides, les tribunaux muets, les écoles réduites en cendres. Les familles fuient à pied, les déplacés s’entassent dans des abris précaires. Et pourtant, certains osent parler d’installer des bureaux de vote au milieu de ce chaos.
Qui ira voter là où l’État n’ose même plus envoyer un agent de la DGI ?
Qui comptera les voix là où les balles dictent le silence ?
Les provinces : l’autre oubli du pouvoir
Pendant que la capitale s’étouffe dans la violence, les provinces survivent dans l’abandon.
Loin des caméras, la misère y a remplacé la gouvernance.
On y parle peu de politique : on parle d’eau, de faim, de maladies.
Dans certaines régions, on ne sait même plus quel représentant local est encore en fonction. Les écoles ferment faute de professeurs, les hôpitaux manquent de tout, et la vie quotidienne se résume à la débrouillardise. Le pays profond, celui qui devrait constituer la colonne vertébrale d’un scrutin national, est invisible, affamé et déconnecté.
Comment prétendre y organiser une élection libre et transparente, alors que l’État n’y existe plus que sur papier ?
Le piège de la “normalité diplomatique”
Derrière l’insistance à parler d’élections, il y a une pression silencieuse mais puissante : celle de la communauté internationale. Washington, Ottawa, Bruxelles ou encore l’ONU veulent cocher la case “retour à l’ordre démocratique”.
Mais cet ordre n’existe plus. L’insécurité, l’effondrement institutionnel et la misère généralisée ne se règlent pas avec un calendrier électoral. Organiser des élections dans un pays en guerre avec lui-même, c’est légitimer le désordre. Ce serait offrir aux plus armés, aux plus corrompus, la chance de s’imposer par les urnes après s’être imposés par la peur.
Ce ne serait pas un vote populaire, mais un vote sous contrainte.
La démocratie ne pousse pas dans les ruines
Le suffrage universel a un sens uniquement quand l’État garantit la sécurité, la justice et la liberté de choix. Rien de tout cela n’existe aujourd’hui en Haïti.
La démocratie, avant d’être un scrutin, est une promesse sociale : celle d’un minimum de dignité et d’égalité entre citoyens. Or, dans un pays où des milliers d’enfants dorment sous des tentes, où les enseignants ne sont plus payés, où la police elle-même est à genoux, voter devient une ironie cruelle.
L’acte démocratique ne peut pas fleurir dans la peur, ni dans la faim.
Ce qu’il faut avant tout : reconstruire le pays, pas organiser le vote
Haïti n’a pas besoin d’une date d’élection, mais d’un plan de reconstruction nationale.
Avant le vote, il faut la sécurité. Avant les urnes, il faut l’État. Avant les bulletins, il faut la confiance.
C’est une question de dignité, pas de diplomatie.
Continuer à brandir le mot “élection” comme solution miracle revient à ignorer la réalité du terrain et la souffrance d’un peuple qu’on refuse d’écouter.
L’histoire récente d’Haïti est un cimetière de transitions avortées.
Le CPT, comme d’autres avant lui, veut s’accrocher à l’idée d’élections pour légitimer son existence.
Mais sans réforme institutionnelle, sans sécurité, sans vision, ce scrutin n’aurait qu’un seul résultat : reproduire le chaos sous une nouvelle forme.
Haïti n’a pas besoin d’une élection symbolique ; elle a besoin d’un sursaut national.
Et tant qu’on n’aura pas retrouvé le sens du mot “État”, parler de démocratie restera un luxe — ou une farce.
