Deux siècles après la « double rançon de l’indépendance » imposée par la France, Haïti s’organise pour réclamer justice. Le Conseil présidentiel de transition vient de nommer les 21 membres du Comité national des réparations, une équipe de choc pour faire payer la facture historique à l’ancienne puissance coloniale.
L’histoire rattrape enfin ses bourreaux. Après 200 ans de silence et d’injustice, Haïti se dote enfin des armes pour mener le combat le plus légitime de son existence : réclamer réparation pour deux siècles de saignée économique orchestrée par la France.
Le 8 août dernier, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a officiellement nommé les membres du Comité national haïtien des restitutions et réparations (CNHRR). Une date qui pourrait bien marquer le début d’une nouvelle ère dans les relations franco-haïtiennes.
Une équipe de pointures pour un combat titanesque
À la tête de ce comité révolutionnaire, on retrouve des figures respectées du monde intellectuel haïtien. Le recteur de l’Université d’État d’Haïti, Dieuseul Prédélus, préside cette mission historique, épaulé par Ronald Jean-Jacques comme secrétaire exécutif.
Mais c’est toute la crème de l’intelligentsia haïtienne qui s’est mobilisée : l’historien Frantz Voltaire représente la Présidence, Patrick Pierre-Louis (bâtonnier de l’Ordre des avocats) apporte son expertise juridique, et l’économiste Camille Chalmers sa connaissance des enjeux financiers internationaux.
Cette composition n’est pas le fruit du hasard. Face à la France et ses arguments juridiques sophistiqués, Haïti a choisi de réunir ses meilleurs cerveaux. Car le défi est colossal : prouver, chiffrer et réclamer deux siècles de pillage légalisé.
La « double rançon » : quand l’indépendance se paie au prix fort
Pour comprendre l’enjeu, il faut se replonger dans l’une des pages les plus sombres de l’histoire internationale. En 1825, la France impose à Haïti une indemnité de 150 millions de francs-or pour « compenser » la perte de ses esclaves et de sa colonie la plus rentable.
Une rançon astronomique que Haïti mettra plus d’un siècle à rembourser, s’endettant auprès des banques européennes et hypothéquant son avenir. Aujourd’hui, cette somme représenterait plusieurs dizaines de milliards de dollars.
C’est ce que les historiens appellent la « double rançon de l’indépendance » : Haïti a non seulement payé sa liberté, mais a aussi financé l’enrichissement de ses anciens maîtres pendant des générations.
Une mission claire : faire les comptes
Le CNHRR n’est pas un club de discussion. Sa mission est claire et ambitieuse : « fournir à l’État et à la société les arguments économiques, financiers, juridiques et éthiques nécessaires » pour réclamer réparation.
Concrètement, le comité doit finaliser les calculs des montants à réclamer en tenant compte de leur valeur actuelle. Un travail de titan qui nécessite de reconstituer deux siècles de transactions financières et d’en calculer les intérêts composés.
Le comité doit aussi sensibiliser la société haïtienne et identifier les acteurs internationaux capables de soutenir cette démarche. Car cette bataille ne se gagnera pas seulement dans les tribunaux, mais aussi dans l’opinion publique mondiale.
Macron face à ses responsabilités historiques
L’ironie de l’histoire veut qu’Emmanuel Macron ait lui-même ouvert cette boîte de Pandore. Le 17 avril 2025, lors de la commémoration du bicentenaire de la double rançon, le président français avait annoncé la création d’une « commission mixte franco-haïtienne » pour « examiner le passé commun ».
Mais depuis cette annonce, silence radio du côté français. Pendant qu’Haïti met sur pied une équipe de 21 experts déterminés, la France semble hésiter à assumer pleinement son passé colonial.
Cette asymétrie en dit long sur la détermination respective des deux pays. D’un côté, Haïti qui s’organise méthodiquement. De l’autre, une France qui temporise, espérant peut-être que le dossier s’enlise.
Un précédent caribéen encourageant
Haïti ne navigue pas en eaux inconnues. Le CNHRR a d’ailleurs rejoint la Commission régionale des réparations de la CARICOM, qui mène déjà ce combat à l’échelle caribéenne.
Plusieurs pays de la région réclament déjà des réparations à leurs anciennes puissances coloniales. La Jamaïque, la Barbade, et d’autres nations ont lancé des initiatives similaires, créant une dynamique régionale que la France ne pourra plus ignorer longtemps.
Pour les Haïtiens de la diaspora, notamment ceux installés en France, ce combat revêt une dimension particulièrement symbolique. Leurs ancêtres ont littéralement financé le développement économique français pendant plus d’un siècle.
L’heure des comptes a sonné
Avec la nomination de ce comité, Haïti envoie un signal clair : l’ère de l’amnésie organisée est terminée. Les nouvelles générations haïtiennes, armées de leurs diplômes et de leur expertise, ne comptent plus laisser dormir ce dossier.
Le travail qui attend le CNHRR est pharaonique : reconstituer la chaîne complète du pillage, traduire l’injustice historique en termes juridiques modernes, et mobiliser l’opinion internationale.
Mais pour la première fois depuis l’indépendance, Haïti dispose d’une structure officielle dédiée exclusivement à cette mission. Une révolution silencieuse qui pourrait bien changer la donne.
Deux siècles après avoir payé sa liberté au prix fort, Haïti se dresse enfin pour réclamer justice. Le CNHRR représente bien plus qu’un comité : c’est le symbole d’une nation qui refuse de laisser l’histoire aux mains de ses bourreaux. Reste à voir si la France d’Emmanuel Macron aura le courage d’assumer pleinement son passé colonial ou si elle continuera à temporiser. Mais une chose est sûre : les Haïtiens ne lâcheront plus l’affaire. L’heure des comptes a enfin sonné.