Fini l’impunité pour les Haïtiens expulsés des États-Unis. Le ministère de la Justice haïtien annonce un protocole inédit : tout compatriote déporté pour corruption ou complicité avec les gangs sera immédiatement arrêté à son arrivée en Haïti. Une mesure qui fait écho aux récentes expulsions américaines, notamment celle programmée du Dr Pierre Réginald Boulos, patron de Delimart.
Port-au-Prince tend enfin les bras… mais pas pour accueillir. Dans un revirement spectaculaire de sa politique traditionnelle, le gouvernement haïtien annonce qu’il ne laissera plus les déportés soupçonnés de liens avec les gangs reprendre tranquillement leurs activités une fois revenus au pays.
Le Dr Patrick Pélissier, ministre de la Justice et de la Sécurité publique, a signé un protocole qui marque une rupture : « tout ressortissant haïtien déporté ou extradé sous de tels motifs sera immédiatement placé sous l’autorité du Commissaire du Gouvernement dès son arrivée sur le sol national ».
La fin du « cercle vicieux » de l’impunité
« Nous voulons briser le cercle vicieux où des individus accusés de délits graves reviennent dans le pays et reprennent leurs activités sans être inquiétés », confie un cadre du ministère à Gazette Haiti. Une déclaration qui résonne comme un aveu : jusqu’ici, Haïti servait de refuge involontaire à ceux que l’étranger ne voulait plus.
Cette nouvelle approche mobilise un arsenal institutionnel impressionnant : l’UCREF (Unité Centrale de Renseignements Financiers), l’ULCC (Unité de Lutte Contre la Corruption), la BAFE (Brigade des Affaires Financières et Économiques) et l’Inspection Générale des Finances (IGF). Autant d’organismes qui devront désormais travailler de concert pour que la justice haïtienne ne soit plus un simple spectateur.
L’onde de choc de l’offensive américaine
Cette mesure haïtienne s’inscrit dans la droite ligne de l’offensive lancée par Washington contre les soutiens présumés des gangs. Le 21 juillet dernier, le secrétaire d’État Marco Rubio annonçait des mesures ciblant les résidents permanents légaux aux États-Unis soupçonnés de soutenir Viv Ansanm, l’alliance de gangs classée comme organisation terroriste.
Pour les Haïtiens de la diaspora, le message est clair : même un statut légal aux États-Unis ne protège plus si l’on est soupçonné de complicité avec les forces qui déchirent Haïti. L’administration Trump utilise la section 237(a)(4)(C) de la Loi sur l’immigration et la nationalité pour expulser ces individus, démontrant que la « tolérance zéro » s’applique aussi aux résidents établis.
L’affaire Boulos : un cas d’école
Le cas du Dr Pierre Réginald Boulos cristallise tous les enjeux de cette nouvelle politique. Propriétaire de la chaîne Delimart, figure connue du monde des affaires haïtien, il est détenu par l’ICE à Miami pour « soutien » présumé aux gangs armés. Son audience du 31 juillet pourrait déboucher sur son expulsion vers Haïti.
Si Boulos est effectivement renvoyé, il sera le premier test grandeur nature du nouveau protocole haïtien. Fini le temps où les hommes d’affaires accusés pouvaient compter sur leurs réseaux pour éviter les poursuites. Cette fois, les menottes l’attendront dès la descente d’avion.
Une justice haïtienne sous pression
Cette nouvelle fermeté du gouvernement haïtien pose néanmoins des questions pratiques cruciales. Le système judiciaire haïtien, déjà submergé et affaibli par des années de crise, sera-t-il capable de traiter efficacement ces dossiers complexes ? Les prisons, déjà surpeuplées, pourront-elles accueillir ces nouveaux détenus ?
Le protocole prévoit que « le Commissaire du Gouvernement est tenu de préparer sans délai un dossier complet pour le transmettre au cabinet d’instruction ». Une rapidité de traitement ambitieuse dans un pays où les dossiers judiciaires traînent souvent pendant des années.
Un signal politique fort
Au-delà des aspects techniques, cette décision constitue un signal politique majeur. Elle montre un gouvernement haïtien qui tente de reprendre l’initiative face à une crise qui l’a longtemps dépassé. En s’alignant sur l’offensive américaine contre les soutiens des gangs, Port-au-Prince espère peut-être regagner une crédibilité perdue auprès de ses partenaires internationaux.
Cette nouvelle politique marque-t-elle enfin le réveil de la justice haïtienne ou n’est-elle qu’un effet d’annonce de plus ? Pour les familles haïtiennes qui subissent quotidiennement la violence des gangs, l’espoir renaît de voir enfin leurs bourreaux et leurs complices présumés répondre de leurs actes. Mais entre l’annonce et la réalité du terrain, il y a souvent un fossé que seuls les faits pourront combler.