L’avant-projet de Constitution dévoilé cette semaine bouleverse l’architecture politique d’Haïti avec des réformes qui toucheront directement la vie des citoyens, qu’ils vivent à Port-au-Prince, dans les mornes du Nord ou à Miami. Entre suppression des sections communales et rajeunissement de la classe politique, cette nouvelle mouture constitutionnelle redessine le visage démocratique du pays.
Après des mois de consultations à travers les dix départements d’Haïti et dans la diaspora, le Comité de pilotage de la Conférence nationale vient de rendre public un avant-projet de Constitution de 56 pages qui pourrait bien changer la donne politique du pays. Cette deuxième tentative de réforme constitutionnelle, après l’échec du projet de l’ancien président Jovenel Moïse, propose des modifications profondes qui toucheront directement la vie de chaque Haïtien.
Une révolution dans l’organisation territoriale
Fini les sections communales ! Cette institution séculaire, héritée de l’époque coloniale et maintenue depuis l’indépendance, disparaît de la nouvelle architecture administrative. Désormais, la commune devient la plus petite entité territoriale de la République. Un changement symbolique fort qui simplifie l’organisation administrative mais qui risque de susciter des débats, notamment dans les zones rurales où les sections communales jouaient un rôle important de proximité.
Pour les Haïtiens de la diaspora qui envoient régulièrement de l’argent dans leurs villages d’origine, cette restructuration pourrait modifier les circuits traditionnels d’aide au développement local. Les projets communautaires devront désormais passer par les mairies plutôt que par les CASEC (Conseils d’administration des sections communales).
Une jeunesse aux commandes
L’un des changements les plus spectaculaires concerne l’âge d’éligibilité. Dès 21 ans, il sera possible de devenir député ou maire. À 25 ans, on pourra briguer un siège au Sénat. Une révolution générationnelle qui pourrait ouvrir la voie à une nouvelle classe politique, alors que la moyenne d’âge des élus haïtiens reste particulièrement élevée.
Cette mesure répond aux aspirations de la jeunesse haïtienne qui représente plus de 60% de la population. Que ce soit les étudiants de l’Université d’État d’Haïti, les jeunes entrepreneurs de Pétion-Ville ou les diplômés haïtiens-américains de retour au pays, cette ouverture pourrait dynamiser la participation politique des nouvelles générations.
Un Sénat réduit mais des mandats harmonisés
Le projet prévoit une réduction du nombre de sénateurs : deux par département au lieu de trois actuellement. Une mesure d’économie qui réduira de 30 à 20 le nombre de sénateurs, mais qui risque de limiter la représentativité de certaines zones géographiques importantes comme l’Ouest ou l’Artibonite.
En contrepartie, tous les mandats sont harmonisés à cinq ans : députés, sénateurs et président. Une synchronisation qui devrait permettre d’éviter les crises politiques récurrentes liées au décalage des échéances électorales, comme celle vécue en 2020-2021.
Des restrictions pour les étrangers
Le texte durcit les règles pour les non-Haïtiens. Ils ne pourront posséder qu’une seule maison d’habitation par arrondissement et se voient interdire les activités de location immobilière. Une mesure qui vise probablement à limiter la spéculation foncière, particulièrement sensible dans la région métropolitaine de Port-au-Prince où les prix de l’immobilier flambent.
Institutions renforcées et lutte anticorruption
L’avant-projet maintient et renforce plusieurs institutions indépendantes, notamment l’Unité de lutte contre la corruption. Une préoccupation majeure pour les Haïtiens de l’intérieur comme de l’extérieur, qui voient dans la corruption l’un des principaux freins au développement du pays.
L’Université d’État d’Haïti et l’Académie nationale obtiennent également un statut constitutionnel, marquant la volonté d’élever l’éducation et la recherche au rang de priorités nationales.
Un processus participatif à poursuivre
Le Comité insiste sur le caractère participatif de cette démarche. Des assises ont été organisées non seulement dans tous les départements d’Haïti, mais aussi à l’étranger, permettant à la diaspora de faire entendre sa voix. Cette approche inclusive reconnaît le poids des Haïtiens de l’extérieur, estimés à plus de 2 millions de personnes, dans l’avenir du pays.
Cette nouvelle Constitution, si elle est adoptée, marquera une rupture avec 37 années de pratique démocratique sous l’égide de la Constitution de 1987. Mais avant tout vote, le débat ne fait que commencer. Car au-delà des institutions, c’est bien l’avenir démocratique d’Haïti qui se joue. Une chose est sûre : cette Constitution de la jeunesse interpellera tous les Haïtiens, d’ici et d’ailleurs, appelés à se prononcer sur l’Haïti de demain.