Le parquet de Port-au-Prince frappe fort en gelant les avoirs de Jimmy Chérizier dit « Barbecue » et de six autres figures sanctionnées par l’ONU. Une offensive judiciaire inédite qui vise à couper les sources de financement des gangs et à traquer leurs complices.
Fini le temps où les chefs de gangs agissaient en toute impunité financière. Le commissaire du gouvernement Frantz Monclair a annoncé mardi avoir procédé au gel des avoirs de sept personnalités sanctionnées par l’Organisation des Nations Unies, marquant un tournant dans la lutte contre l’insécurité en Haïti.
Une mesure déjà effective depuis le 2 juin
Cette décision, prise par acte d’huissier depuis le 2 juin dernier, fait suite à une instruction du ministre de la Justice Patrick Pélissier datée du 12 mai. Elle s’appuie sur la résolution 2653 du Conseil de sécurité de l’ONU et le décret haïtien du 30 avril 2023 contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Les sept personnalités visées incluent les noms les plus redoutés de la scène criminelle haïtienne : Jimmy Chérizier alias « Barbecue » (G9 et « Viv Ansanm »), Johnson André (« 5 Segond »), Renel Destina (« Grand Ravine »), Wilson Joseph (« 400 Mawozo »), Vitelhomme Innocent (« Kraze Barye »), Luckson Elan (« Gran Grif »), ainsi que l’ancien parlementaire Prophane Victor, impliqué dans le trafic d’armes.
Une traque qui s’étend aux complices
Au-delà du gel des avoirs, le parquet a ouvert des enquêtes visant les complices présumés de ces figures. « Nous voulons remonter toute la chaîne de financement », explique en substance cette démarche qui mobilise l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) et l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC).
Cette approche rappelle les méthodes utilisées contre les cartels colombiens dans les années 90, où frapper au portefeuille s’était révélé plus efficace que les seules opérations militaires. Pour les familles haïtiennes qui subissent les extorsions quotidiennes de ces groupes, c’est un espoir de voir enfin tarir une partie des ressources qui alimentent la terreur.
En attente des sanctions internationales
Si les sanctions onusiennes sont désormais appliquées, le commissaire Monclair attend toujours la transmission officielle des dossiers concernant les sanctions bilatérales imposées par le Canada, les États-Unis et la République dominicaine. Ces dossiers incluent d’anciens présidents, ministres et entrepreneurs, dont les noms circulent depuis des mois dans la diaspora haïtienne.
« L’État haïtien a déjà formulé des demandes d’entraide judiciaire via le ministère des Affaires étrangères », précise le parquet, soulignant la volonté de coopération internationale.
Une détermination affichée
« Le parquet est déterminé à mettre l’action publique en mouvement contre tous ceux qui ont commis des crimes contre la population haïtienne », a martelé le commissaire Monclair. Des mots qui résonnent particulièrement pour les Haïtiens de Port-au-Prince, de Croix-des-Bouquets ou d’ailleurs, qui vivent sous la menace constante de ces groupes armés.
Cette offensive judiciaire intervient alors que la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) peine à reprendre le contrôle territorial. L’approche financière pourrait-elle réussir là où la force a montré ses limites ?
Pour la première fois depuis des années, la justice haïtienne semble passer de la parole aux actes concrets contre les financements illicites. Reste à voir si cette stratégie portera ses fruits et si elle s’étendra rapidement aux autres figures pointées du doigt par la communauté internationale. Une chose est sûre : les chefs de gangs ne peuvent plus compter sur l’impunité totale de leurs activités financières. Un premier pas vers la reconquête de l’État de droit ?