Pétion-Ville, le 26 mars 2025 – L’insécurité persistante en Haïti continue de soulever des débats sur les limites de l’État à garantir la protection des citoyens. C’est dans ce contexte que le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits de l’Homme (CARDH) a organisé une conférence-débat ce mercredi à Pétion-Ville sous le thème : « Le phénomène de Bwa Kale dans le contexte de l’insécurité en Haïti ». Cette rencontre s’inscrit dans la table sectorielle des droits humains, un espace de dialogue et de collaboration entre les organisations de défense des droits et les autorités sécuritaires, soutenu par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme.
Une justice populaire qui traduit l’échec de l’État
Le phénomène Bwa Kale, qui s’est imposé comme une riposte populaire brutale face aux gangs armés, est une conséquence directe de l’incapacité des autorités à contenir l’insécurité. Face aux violences quotidiennes, aux kidnappings et aux assassinats perpétrés en toute impunité, la population s’est organisée pour se défendre, souvent en dehors du cadre légal.
Le Révérend Père Gardy Maisonneuve, directeur exécutif du Sant Karl Lévêque, estime que cette justice populaire découle du sentiment d’abandon ressenti par les citoyens. « Lorsqu’un État ne protège plus son peuple, ce dernier est obligé de se protéger lui-même », a-t-il déclaré.
Dans le même sens, Gédéon Jean, directeur exécutif du CARDH, a décrit Bwa Kale comme un symbole de l’effondrement de l’État haïtien. Il a aussi dénoncé l’absence d’un soutien international efficace pour aider Haïti à faire face à cette crise sécuritaire.
Un phénomène inquiétant aux conséquences incontrôlables
Si certains voient dans Bwa Kale un sursaut de résistance populaire, d’autres s’inquiètent de ses dérives possibles. En l’absence d’un système judiciaire fonctionnel, le risque d’exécutions arbitraires est réel, ce qui pourrait accentuer l’instabilité du pays.
Les organisations de défense des droits humains présentes à la conférence ont insisté sur la nécessité pour l’État de reprendre le contrôle de la situation sécuritaire afin d’éviter que la justice populaire ne devienne une norme incontrôlable et anarchique.
« Nous devons mettre l’État face à ses responsabilités. Il ne suffit pas de dénoncer la violence des gangs, il faut aussi dénoncer la passivité des autorités », a martelé Gédéon Jean.
Un mouvement né de la terreur des gangs
Le mouvement Bwa Kale a émergé en avril 2023, précisément à Canapé-Vert, lorsque des habitants ont décidé de prendre les armes contre des bandits armés qui terrorisaient leur communauté. Plus d’une dizaine de présumés criminels ont été lynchés par la population dans la matinée du 25 avril 2023, marquant le début d’une série d’exécutions populaires à travers le pays.
Des témoins rapportent que la Police Nationale d’Haïti (PNH) avait intercepté plusieurs individus suspectés de se rendre à Turgeau et Debussy en renfort à des gangs actifs. Face à la peur et à la frustration, la population a pris les devants et procédé à leur élimination, ne croyant plus en la capacité des forces de l’ordre à assurer leur protection.
Quelle issue pour Haïti ?
Alors que le phénomène Bwa Kale continue de s’étendre, la conférence-débat du CARDH a permis de poser un constat alarmant : tant que l’État restera inactif, la justice populaire persistera.
Pour éviter que le pays ne bascule dans un cycle infernal de violence incontrôlée, les acteurs présents ont plaidé pour :
- Un renforcement immédiat des capacités de la Police Nationale pour lutter efficacement contre les gangs ;
- Un engagement plus fort des autorités judiciaires pour rétablir la confiance en l’État de droit ;
- Une coopération plus étroite entre la société civile et les institutions publiques pour identifier des solutions durables.
Le débat reste ouvert, mais une chose est sûre : sans un retour à l’ordre institutionnel, la population haïtienne continuera de prendre son destin en main, avec toutes les conséquences que cela implique.