Après trois ans passés en première ligne de la crise haïtienne, la coordinatrice humanitaire de l’ONU tire la sonnette d’alarme avant son départ. Son message est clair : Haïti mérite mieux que l’indifférence mondiale actuelle.
Le diagnostic est sans appel. Ulrika Richardson, qui quitte ses fonctions de coordinatrice humanitaire des Nations Unies en Haïti pour rejoindre la Libye, n’a pas mâché ses mots lors de sa conférence de presse d’adieu à New York. Pour cette diplomate suédoise qui a arpenté le pays pendant plus de trois ans, la situation haïtienne dépasse tous les qualificatifs : « alarmante, aiguë, urgente… et même plus ».
Des chiffres qui cachent des drames humains
Les statistiques qu’elle énumère donnent le vertige : 1,3 million de déplacés dont la moitié sont des enfants, 3 000 morts depuis janvier, deux millions de personnes au bord de la famine. Des chiffres que connaissent malheureusement bien les familles haïtiennes dispersées aux quatre coins du monde, de Miami à Montréal, qui vivent dans l’angoisse permanente pour leurs proches restés au pays.
Mais Richardson va au-delà des statistiques. Elle évoque cette femme violée à plusieurs reprises qui, malgré l’horreur vécue, « tient le coup, veut vivre et réclame même la justice ». Elle raconte aussi ces familles contraintes d’abandonner un proche âgé ou handicapé lors de fuites précipitées face aux gangs. Des témoignages qui résonnent douloureusement chez tous ceux qui ont vécu l’exode forcé.
Un système de santé et d’éducation à l’agonie
Le tableau dressé par l’ancienne coordinatrice révèle l’effondrement des services de base. Seulement 36% des hôpitaux fonctionnent pleinement dans la capitale, les écoles ferment leurs portes, et la malnutrition infantile explose. Une réalité que vivent quotidiennement les familles haïtiennes, contraintes de faire des choix impossibles entre se soigner, se nourrir ou envoyer leurs enfants à l’école.
Pour la diaspora haïtienne qui envoie régulièrement de l’argent au pays, ces témoignages confirment ce qu’elle redoutait : l’aide familiale, aussi généreuse soit-elle, ne peut remplacer un État fonctionnel et des services publics dignes de ce nom.
« Nous avons les outils mais pas la volonté »
Le constat d’Ulrika Richardson est particulièrement amer concernant la réponse internationale. Tous les mécanismes existent sur le papier : plan humanitaire, sanctions, embargo sur les armes, mission multinationale menée par le Kenya. Mais les résultats ne suivent pas.
Le plan de réponse humanitaire n’est financé qu’à 9%, soit le plus bas niveau mondial. Un scandale selon Richardson, qui dénonce un « mélange de manque de volonté politique et de manque de financement ». Pendant ce temps, les gangs se sont émancipés de leurs anciens parrains politiques pour vivre du crime organisé régional, rendant la situation encore plus complexe.
Les recettes du redressement selon l’ONU
Les solutions existent pourtant. Richardson les martèle : stopper l’arrivée d’armes, briser les liens entre gangs et élites, donner les moyens d’agir à la police kenyane. Mais tout cela doit s’accompagner d’une solution politique crédible et d’un retour au développement.
Un message que connaissent bien les Haïtiens : sans réconciliation nationale et sans projet de société partagé, les interventions extérieures resteront des coups d’épée dans l’eau.
L’espoir malgré tout
Malgré ce sombre bilan, la diplomate suédoise revendique son optimisme. « Haïti a beaucoup à offrir : un territoire relativement petit mais riche, une population dynamique, une diaspora active », souligne-t-elle. Pour Richardson, « toutes les conditions existent pour tourner la page et enclencher une spirale positive ».
Sa conclusion résonne comme un défi lancé au monde entier : « Les Haïtiens y sont prêts ». Reste à savoir si la communauté internationale le sera aussi.
Le témoignage d’Ulrika Richardson sonne comme un rappel à l’ordre. Trois ans d’immersion dans la réalité haïtienne lui ont appris une vérité que connaissent tous les fils et filles d’Haïti : ce peuple mérite mieux que l’abandon. Son appel sera-t-il entendu ? L’avenir d’Haïti – et de sa diaspora – en dépend.