L’économie argentine vit au rythme des annonces de Washington. Entre promesses d’aide financière colossale et menaces à peine voilées, le président ultralibéral Javier Milei doit composer avec un allié encombrant avant les législatives du 26 octobre. Une situation qui rappelle à bien des Haïtiens les rapports complexes entre nations dépendantes et grandes puissances.
Trump met la pression : pas d’argent sans victoire électorale
Mardi dernier, Donald Trump recevait son homologue argentin Javier Milei à la Maison-Blanche. L’ambiance était cordiale entre ces deux alliés idéologiques, mais le président américain n’a pas mâché ses mots : les États-Unis ne seront « pas généreux » avec l’Argentine si Milei « ne gagne pas » les élections législatives de mi-mandat prévues le 26 octobre.
Un avertissement qui a fait l’effet d’une bombe à Buenos Aires. Pour beaucoup d’observateurs, cette déclaration ressemble à s’y méprendre à une ingérence directe dans les affaires intérieures argentines. Le sénateur d’opposition Martin Lousteau n’a d’ailleurs pas hésité à dénoncer un « chantage à l’électorat argentin », accusant Trump de vouloir « seulement sauver Milei ».
Cette situation n’est pas sans rappeler les pressions que subissent régulièrement des pays comme Haïti, où l’aide internationale vient souvent avec son lot de conditions politiques et économiques. La différence ? L’Argentine fait partie des économies émergentes du G20, ce qui rend cette ingérence encore plus frappante.
40 milliards de dollars : une bouée de sauvetage empoisonnée
Le lendemain des déclarations de Trump, le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent a annoncé un nouveau dispositif d’aide massif pour l’Argentine : 20 milliards de dollars, qui s’ajoutent aux 20 milliards déjà promis via un échange bilatéral de devises. Au total, 40 milliards de dollars pour soutenir l’économie chancelante de Milei.
Ce montant pharaonique sera mobilisé avec la participation d’acteurs privés, banques et fonds souverains. Les États-Unis sont même intervenus directement sur le marché des changes mercredi pour acheter du peso argentin et soutenir la monnaie nationale.
Mais cette générosité a un prix. Scott Bessent a précisé que le soutien américain était conditionné à une « victoire » du parti de Milei, dans le sens où celui-ci devra pouvoir « opposer son veto à toute mauvaise politique » au Parlement. Traduction : tant que l’Argentine applique les politiques néolibérales qui plaisent à Washington, l’argent coulera à flots.
« Une incursion quasi-coloniale »
Les critiques ne se sont pas fait attendre en Argentine. L’économiste Carlos Melconian, ancien président de la banque publique Banco Nacion, n’a pas hésité à qualifier cette aide de « incursion quasi-coloniale ». Le politologue Iván Schuliaquer renchérit : « Le gouvernement montre qu’il ne dépend plus de lui-même, mais que des acteurs étrangers continuent de financer un programme économique qui se trouve à court de dollars. »
Ces mots résonnent familièrement aux oreilles des Haïtiens. Depuis des décennies, le pays des Caraïbes connaît lui aussi cette dépendance à l’aide étrangère, avec les programmes d’ajustement structurel, les conditionnalités du FMI et les interventions internationales qui finissent souvent par dicter les orientations nationales.
Un bilan économique contrasté
Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2023, Javier Milei a mené une politique d’austérité budgétaire radicale. Les résultats contre l’inflation sont indéniables : en moins de deux ans, elle est passée de 200% en rythme annuel à 31% actuellement.
Mais cette victoire a un coût social énorme. Des dizaines de milliers d’emplois perdus, une récession en 2024, une activité économique qui peine à redémarrer et un pouvoir d’achat qui reste au plus bas. Sans compter une banque centrale toujours à court de devises, d’où la nécessité criante de l’aide américaine.
Pour Fernando Román, propriétaire d’un atelier mécanique à Buenos Aires qui « travaille à demi-capacité », les fluctuations du peso signifient « le report de toutes les décisions de porte-monnaie, que ce soit l’achat d’une voiture, d’une machine-outil ou d’une réservation de vacances. »
Des élections sous haute tension
Les sondages placent le bloc présidentiel et l’opposition péroniste au coude-à-coude, autour de 35% chacun, avant le scrutin du 26 octobre. Pour Milei, l’enjeu n’est pas sa survie politique – il lui reste deux ans de mandat – mais sa capacité à gouverner et à poursuivre ses réformes dérégulatrices.
Actuellement très minoritaire au Parlement (37 députés sur 257, et encore moins au Sénat), il espère renforcer sa base. Même sans majorité absolue, obtenir un tiers des sièges lui donnerait davantage de marge de manœuvre.
La Bourse de Buenos Aires a d’ailleurs vivement rebondi mercredi, progressant de plus de 3% après les annonces de Scott Bessent. Les marchés financiers, eux aussi, votent.
Une leçon pour les petites nations
Cette situation argentine offre un miroir grossissant des rapports de force entre nations riches et pays en développement. Quand même une économie du G20 comme l’Argentine se retrouve à la merci des conditions imposées par Washington, que dire des petits États comme Haïti ?
Pour les Haïtiens de la diaspora qui suivent l’actualité internationale, ce cas argentin rappelle combien la souveraineté économique reste un combat permanent. Qu’on soit à Port-au-Prince ou à Buenos Aires, la dépendance à l’aide étrangère finit toujours par se traduire en perte d’autonomie politique.
L’Argentine de Milei navigue en eaux troubles, suspendue aux décisions de Washington et aux humeurs des marchés financiers. Le 26 octobre dira si les Argentins acceptent ce marché faustien ou s’ils décident de reprendre les rênes de leur destin. Une question que se posent également, jour après jour, des millions d’Haïtiens aspirant à une véritable indépendance économique.