Une lettre explosive révèle la fracture profonde qui menace de faire exploser le Conseil Présidentiel de Transition. Quatre conseillers accusent leurs trois collègues de bloquer le fonctionnement de l’institution, alors qu’Haïti attend toujours une sortie de crise.
La rupture consommée
C’est par une lettre officielle glaciale que quatre membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) ont choisi de répondre à leurs trois collègues le 24 juin dernier. Fritz Alphonse JEAN, Leslie VOLTAIRE, Edgard LEBLANC Fils et Frinel JOSEPH s’adressent formellement à Louis Gérald GILLES, Smith AUGUSTIN et Emmanuel VERTILAIRE – comme s’ils étaient des adversaires politiques et non des partenaires censés diriger ensemble la transition haïtienne.
Cette correspondance, obtenue par notre rédaction, révèle l’ampleur de la crise interne qui paralyse désormais le CPT. Quand des membres d’un même conseil exécutif en arrivent à s’écrire des lettres officielles au lieu de se parler directement, c’est que la situation a atteint un point de non-retour.
L’accusation qui fait mal
Entre les lignes diplomatiques, on comprend que les trois conseillers « dissidents » ont accusé leurs quatre collègues de violer les règles de fonctionnement du CPT, probablement en prenant des décisions sans respecter le quorum légal. Une accusation grave qui équivaut à dire que la moitié du conseil gouverne illégalement le pays.
Les quatre signataires se défendent avec véhémence : « Il n’est pas inutile de noter que les provisions légales ne se limitent pas aux seules conditions pour le quorum de réunion et de décision mais également à toute situation qui puissent faciliter la continuité de l’État. »
Traduction en langage clair : « Nous faisons ce qu’il faut pour que le pays continue de fonctionner, même si vous n’êtes pas d’accord. »
Le Code pénal, pomme de discorde
Au cœur de cette guerre fratricide : la réforme controversée du Code pénal. Les quatre conseillers rappellent avec insistance l’urgence de faire adopter ce texte par le Conseil des Ministres, prévu pour le 24 juin à 16h. Un timing qui suggère que leurs trois collègues tentaient probablement de bloquer cette réforme.
Pour les Haïtiens qui vivent au quotidien l’insécurité et l’impunité, cette querelle sur le Code pénal résonne douloureusement. Pendant que les dirigeants se déchirent sur la procédure, les gangs continuent de terroriser la population et la justice reste paralysée.
« À la croisée des chemins » : l’aveu d’échec
Le ton dramatique de la conclusion en dit long sur la gravité de la situation : « Le Conseil Présidentiel de Transition se trouve bien aujourd’hui à la croisée des chemins. Nous ne devons en aucun cas démériter de la patrie commune. »
Ces mots sonnent comme un ultimatum déguisé. Les quatre conseillers semblent dire à leurs collègues : « Soit vous vous ralliez, soit le CPT explose. » Une perspective terrifiante pour un pays qui a déjà connu trop d’instabilité institutionnelle.
Haïti otage de ses dirigeants
Pour la diaspora haïtienne qui espérait enfin voir une transition réussie, et pour les citoyens en Haïti qui subissent les conséquences de chaque crise politique, ce nouveau psychodrame est un coup dur. Comment expliquer à un père de famille de Cité Soleil, à une commerçante du marché en fer, ou à un jeune diplômé de Port-au-Prince que leurs dirigeants sont incapables de s’entendre sur les réformes les plus urgentes ?
Cette lettre révèle une vérité cruelle : à quelques mois de la fin de son mandat, le CPT semble davantage préoccupé par ses querelles internes que par les défis titanesques du pays. Insécurité galopante, crise économique, effondrement des services publics – autant de dossiers qui passent au second plan derrière les ego froissés.
La question n’est plus de savoir si le CPT survivra à cette crise, mais plutôt : Haïti peut-elle se permettre une nouvelle période d’instabilité institutionnelle ? La réponse appartient aux sept conseillers qui, pour l’instant, semblent l’avoir oubliée.