À huit mois de la fin de son mandat, le Conseil présidentiel de transition navigue à vue. Dans une lettre-choc, le membre observateur Frinel Joseph dénonce l’inefficacité de l’institution et propose quatre solutions pour sauver ce qui peut encore l’être de cette transition cruciale pour l’avenir d’Haïti.

Les mots sont durs, mais ils reflètent une réalité que beaucoup d’Haïtiens ressentent déjà : le Conseil présidentiel de transition (CPT) est en panne. Frinel Joseph, membre observateur de cette institution censée guider le pays vers des élections démocratiques, a décidé de briser le silence ce lundi 16 juin 2025. Dans une lettre ouverte aux accents graves, il dresse un bilan sans complaisance de plus d’un an de transition et lance un cri d’alarme.

Une mission historique qui tourne au fiasco

Installé au Palais national le 25 avril 2024 pour combler le vide laissé par le départ d’Ariel Henry, le CPT avait une mission claire : « ramener la sécurité, piloter un référendum et organiser des élections légitimes d’ici février 2026 ». Plus d’un an après, force est de constater que ces objectifs semblent plus lointains que jamais.

« Le CPT est bloqué », déclare sans détour Frinel Joseph dans sa correspondance. Une phrase lapidaire qui résume la frustration de millions d’Haïtiens qui attendaient un changement après des années de crise. Pour ceux de la diaspora qui suivent de loin les événements, cette déclaration confirme leurs pires craintes : la transition patine dangereusement.

Des divisions internes qui paralysent l’action

Le diagnostic de Frinel Joseph est impitoyable. Il pointe du doigt « des conflits internes persistants et une défiance croissante entre les membres » du CPT. Cette situation rappelle les querelles politiques qui ont longtemps paralysé le Parlement haïtien, où les intérêts partisans l’emportaient souvent sur l’intérêt national.

Particulièrement révélateur : le « non-respect des engagements initiaux, comme l’adoption d’un code d’éthique, et l’absence de transparence autour des allocations financières destinées aux conseillers présidentiels ». Frinel Joseph révèle même avoir proposé « une note publique de clarification pour couper court aux rumeurs circulant dans les médias et sur les réseaux sociaux » qui « n’a jamais été publiée ».

Cette opacité financière ne peut que rappeler aux Haïtiens les scandales de corruption qui ont émaillé l’histoire politique du pays, du dossier PetroCaribe aux détournements de l’aide internationale après le séisme de 2010.

La présidence tournante : une fausse bonne idée ?

L’une des critiques les plus acerbes de Frinel Joseph concerne « la décision du Conseil d’instaurer une présidence tournante, qu’il considère contraire à l’esprit de l’accord du 3 avril ». Selon lui, ce mécanisme censé assurer l’équilibre entre les différents secteurs a en réalité « installé un climat de suspicion et fragilisé la continuité des responsabilités ».

Les faits lui donnent raison : trois personnalités se sont succédé à la tête du CPT (Edgard Leblanc Fils, Leslie Voltaire, et actuellement Fritz Alphonse Jean), créant une instabilité permanente. « Ce système de rotation engendre des problèmes à chaque transition, et accentue la méfiance », dénonce-t-il.

Quelques avancées dans un océan de difficultés

Malgré ce tableau sombre, Frinel Joseph reconnaît quelques avancées : l’installation du gouvernement dirigé par Alix Didier Fils-Aimé en novembre 2024 (après le passage éphémère de Garry Conille), la mise en place du Conseil électoral provisoire et l’élaboration d’un projet de Constitution. Mais ces réalisations pèsent peu face aux enjeux majeurs non résolus.

Pour les Haïtiens qui ont vécu l’espoir des changements de gouvernement depuis des décennies, ces « avancées » peuvent sembler dérisoires face à l’insécurité grandissante et à la détérioration des conditions de vie.

Quatre solutions pour sortir de l’impasse

Frinel Joseph ne se contente pas de critiquer : il propose quatre recommandations concrètes pour sauver la transition. D’abord, organiser « une retraite d’urgence » pour apaiser les tensions internes et clarifier les priorités. Ensuite, « renouer le dialogue avec les forces vives de la nation » dans une démarche inclusive.

Il insiste également sur la nécessité d’une « communication régulière avec la population haïtienne » pour rétablir la confiance publique. Enfin, il exhorte ses collègues à convoquer rapidement un Conseil des ministres pour adopter un décret référendaire indispensable aux travaux du Conseil électoral provisoire.

Ces propositions, bien que sensées, peuvent sembler modestes face à l’ampleur de la crise. Mais elles ont le mérite d’être réalistes et réalisables rapidement.

L’urgence d’une prise de conscience

« Nous devons retrouver le sens de notre mission et faire preuve de courage politique », lance Frinel Joseph, qui se dit prêt à continuer son rôle de facilitateur malgré les frustrations. Sa conclusion est un appel vibrant : « J’espère que cette note provoquera une prise de conscience collective. L’avenir de la transition et celui du pays en dépendent. »

À huit mois de la fin de son mandat, le CPT se trouve à la croisée des chemins. Cette lettre-choc de Frinel Joseph résonne comme un ultimatum : sauver ce qui peut encore l’être de cette transition ou accepter un nouveau cycle d’instabilité. Pour les millions d’Haïtiens qui aspirent à la stabilité et à la démocratie, l’heure n’est plus aux tergiversations. Reste à savoir si les autres membres du CPT entendront cet appel au sursaut avant qu’il ne soit trop tard.

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