Port-au-Prince, 26 mars 2025 – L’influence américaine en Haïti est au cœur des crises successives que traverse le pays, affirme le journaliste indépendant et analyste politique Lemoine Bonneau. Lors de son intervention à l’émission Perspective Plurielle, il a dénoncé le rôle destructeur des États-Unis dans l’histoire haïtienne, depuis l’occupation de 1915 jusqu’à l’actuelle crise sécuritaire, économique et politique.
« Les États-Unis, avec la complicité des élites haïtiennes, ont orchestré la ruine d’Haïti pour mieux en assurer le contrôle. »
Une domination américaine installée depuis 1915
Bonneau rappelle que l’occupation américaine d’Haïti entre 1915 et 1934 a marqué le début d’un processus systématique de domination et d’exploitation. Sous couvert de rétablir l’ordre, les forces américaines ont :
- Réécrit la Constitution en 1918 pour permettre aux étrangers d’acquérir des terres.
- Démantelé les structures politiques et économiques haïtiennes.
- Mis en place un système de travail forcé, déclenchant la révolte des Cacos, réprimée dans le sang.
« Dès cette époque, les Américains ont imposé une dépendance structurelle à Haïti, brisant sa souveraineté et affaiblissant son économie », analyse Bonneau.
L’occupation a également dissous l’armée haïtienne traditionnelle et créé la Garde d’Haïti, qui est ensuite devenue un outil de répression au service des intérêts étrangers et des élites locales. Cette militarisation de la politique haïtienne a favorisé l’instabilité et les régimes dictatoriaux, notamment celui de François Duvalier et son fils Jean-Claude, tous deux soutenus par Washington durant la Guerre froide.
Une économie sabotée et une population asservie
Bonneau souligne que les États-Unis ont progressivement détruit l’économie haïtienne et la fierté nationale. Dès les années 1920, ils ont encouragé la migration massive de travailleurs haïtiens vers Cuba et la République dominicaine pour servir de main-d’œuvre bon marché.
« Avant même de détruire le pays, ils ont détruit l’homme haïtien, le réduisant au statut de coupeur de canne sous-payé dans des plantations étrangères », déplore-t-il.
Les politiques économiques imposées par Washington : un désastre pour Haïti
Bonneau accuse les États-Unis d’avoir imposé des réformes économiques désastreuses qui ont condamné Haïti à une dépendance économique chronique :
- Destruction du cheptel porcin haïtien (années 1980) : sous prétexte d’éradiquer la peste porcine africaine, les Américains ont obligé les paysans à tuer leurs porcs, les remplaçant par des races inadaptées.
- Privatisation des entreprises publiques : sous pression américaine, Haïti a vendu ses principales industries (HASCO, Téléco, Ciment d’Haïti, Minoterie), précipitant l’effondrement de son secteur productif.
- Dérégulation du marché agricole : l’ouverture forcée aux produits étrangers, notamment le riz américain subventionné, a anéanti l’agriculture locale, rendant Haïti dépendante des importations alimentaires.
« Haïti est aujourd’hui incapable de nourrir sa propre population, un désastre voulu et planifié par Washington », affirme Bonneau.
L’embargo de 1991 : une arme contre le peuple haïtien
Bonneau rappelle également que, suite au coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide en 1991, les États-Unis ont imposé un embargo économique via l’OEA.
« Ce blocus, prétendument destiné à sanctionner les putschistes, a surtout plongé la population dans une pauvreté extrême », dénonce-t-il.
Selon lui, cet embargo était une manœuvre visant à affaiblir encore plus le pays, consolidant l’influence américaine sur les institutions haïtiennes.
L’insécurité : un chaos entretenu par Washington ?
Pour Bonneau, la crise actuelle des gangs est directement liée aux manipulations américaines. Il affirme que les États-Unis ont sciemment laissé prospérer ces groupes criminels pour maintenir un état de chaos contrôlé.
« Quand un ambassadeur américain admet avoir des contacts avec des chefs de gangs, c’est bien la preuve que ces groupes terroristes bénéficient d’une forme de complicité américaine », accuse-t-il.
Il critique également l’inaction du Conseil présidentiel de transition (CPT), une structure mise en place sous l’impulsion des États-Unis via la CARICOM, qu’il considère comme un échec total.
« Le CPT ne parvient ni à rétablir la sécurité, ni à organiser une conférence nationale, ni à lancer une réforme constitutionnelle. Il est un instrument aux mains des Américains », dénonce Bonneau.
Une Haïti sous tutelle : vers une révolte populaire ?
Face à cette ingérence américaine permanente, Bonneau appelle à une mobilisation nationale pour reprendre le contrôle du pays.
« Si le peuple haïtien ne se soulève pas, nous continuerons de sombrer sous le joug d’une politique étrangère hostile à nos intérêts », prévient-il.
Il plaide pour une rupture totale avec les élites corrompues, complices des États-Unis, et pour un renouveau économique basé sur la production locale.
« Haïti doit retrouver sa souveraineté. Plus d’un siècle d’ingérence étrangère doit cesser pour que nous puissions enfin bâtir un avenir digne et autonome », conclut-il.