Port-au-Prince, 31 janvier 2025 – Près de dix mois après la signature de l’Accord du 3 avril 2024, qui a conduit à la formation du Conseil présidentiel de transition (CPT), les neuf secteurs signataires peinent à se réunir pour décider du sort de cette instance. Miné par des divisions internes et un scandale de corruption impliquant trois de ses membres, le CPT traverse une crise profonde, tandis que les acteurs politiques et civils semblent incapables de trouver un terrain d’entente.
Une réunion impossible sans la CARICOM
Depuis la rencontre virtuelle du 16 décembre 2024 avec les Éminentes Personnalités de la CARICOM, les neuf secteurs signataires de l’Accord du 3 avril n’ont pas réussi à organiser une seule réunion pour discuter de l’avenir du CPT. Selon des sources proches du dossier, ces secteurs sont profondément divisés sur les changements à apporter à l’instance de transition. « Cela a été une œuvre gigantesque pour réunir autant de partis politiques et d’organisations de la société civile afin d’arriver à la signature de l’Accord du 3 avril 2024. Ils ont été forcés par la CARICOM. Aujourd’hui, c’est très compliqué de les réunir à nouveau », a confié un acteur du secteur privé des affaires au journal Le Nouvelliste.
Les secteurs signataires, qui devaient initialement jouer un rôle de médiation entre les conseillers présidentiels, se sont eux-mêmes retrouvés en conflit. « Certains d’entre eux ont été les premiers à entrer en conflit avec leurs représentants au CPT. Ensuite, il y a eu des conflits entre les secteurs eux-mêmes », a expliqué un autre acteur impliqué dans l’application de l’accord.
Des intérêts divergents et un manque de cadre juridique
L’agronome André Victor, coordonnateur du Collectif des partis du 30 janvier, a pointé du doigt l’absence de règlements d’application de l’Accord du 3 avril comme l’une des principales causes de cette impasse. « Parce que les intérêts des parties prenantes sont divergents. C’est la cause secondaire. La cause principale, c’est parce que l’Accord du 3 avril n’est pas assorti de règlements d’application. Il aurait fallu donner une existence juridique à l’ensemble des parties prenantes. En l’absence d’une assemblée formelle des parties prenantes, il est facile de les diviser et de les manipuler, comme l’a fait le CPT », a-t-il déclaré.
Pascal Adrien, membre de l’Accord du 21 décembre et signataire de celui du 3 avril, a pour sa part indiqué que « la majorité des secteurs est favorable au redressement du Conseil présidentiel pour prévenir l’échec total de la transition politique en cours. Néanmoins, quelques secteurs, bénéficiaires de la mauvaise gouvernance actuelle, semblent vouloir s’accrocher au statu quo. »
Trois scénarios sur la table
Dans un document envoyé à la CARICOM, trois des neuf secteurs signataires – l’Accord du 21 décembre, le Collectif du 30 janvier et le Parti EDE – ont proposé trois scénarios pour redresser le CPT :
- Un CPT de neuf membres, excluant les trois conseillers inculpés dans le scandale des 100 millions de gourdes à la Banque nationale de Crédit (BNC), avec confirmation ou infirmation formelle des autres membres par leurs secteurs respectifs.
- Un CPT de trois membres crédibles, choisis à la discrétion des parties prenantes.
- Un CPT de trois membres issus de la Cour de cassation, de la société civile et du secteur politique.
Ces propositions visent à redonner une légitimité au CPT, dont l’image a été gravement entachée par les accusations de corruption et les divisions internes.
Les conseillers inculpés restent en poste
Malgré les pressions, les trois conseillers-présidentiels inculpés dans le scandale de la BNC – Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin – restent en poste. Intervenant cette semaine sur France 24 et RFI, le président du CPT, Leslie Voltaire, a défendu leur maintien, arguant que « le dossier de ces trois conseillers-présidentiels est devant la justice et qu’on n’a pas de dispositions légales dans cet accord politique pour les expulser du Conseil. Ils sont devant la justice, c’est la justice haïtienne qui doit trancher, pas nous-mêmes. »
Cette position a suscité des critiques, notamment de la part des secteurs qui réclament une action plus ferme pour restaurer la crédibilité du CPT.
Un appel à l’unité et à la responsabilité
Pascal Adrien a insisté sur la nécessité pour les secteurs signataires de surmonter leurs divergences et de s’entendre sur un scénario de redressement. « Les secteurs, s’ils veulent garder un minimum de crédibilité, sont tenus de s’entendre sur un scénario de redressement. Les secteurs réfractaires seront réputés contre les intérêts du peuple souffrant qui ne réclame que des résultats en vue d’une amélioration de ses conditions d’existence », a-t-il déclaré.
Une transition à la croisée des chemins
Alors que la crise politique et institutionnelle en Haïti persiste, l’incapacité des secteurs signataires de l’Accord du 3 avril à se réunir et à prendre des décisions consensuelles menace de plonger le pays dans une impasse encore plus profonde. La balle est désormais dans le camp de la CARICOM, qui pourrait jouer un rôle clé pour relancer le processus de transition et éviter un effondrement total du CPT.