Le conseiller-président Leslie Voltaire s’est rendu ce mardi 3 juin à San Salvador pour rencontrer le vice-président Félix Ulloa. Au menu des discussions : la sécurité haïtienne et l’expérience salvadorienne qui a transformé l’un des pays les plus violents du monde en modèle de pacification. Une démarche qui interroge sur les solutions possibles pour Haïti.
Un Salvador qui inspire : de 6 000 à 114 homicides par an
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, le Salvador n’a enregistré que 114 homicides, le bilan le plus bas de son histoire récente. Pour comprendre cette révolution sécuritaire, il faut remonter au 27 mars 2022, quand le président Nayib Bukele a déclaré la guerre aux « maras » après 87 meurtres en trois jours.
Depuis, 79 184 membres présumés de gangs ont été arrêtés, représentant selon les autorités 75% des effectifs criminels du pays. Au-delà des arrestations, c’est tout un arsenal qui a été saisi : 8 122 véhicules, 3 965 armes à feu et 20 140 téléphones portables.
Cette transformation rappelle les défis que connaissent bien les Haïtiens, qu’ils vivent à Cité Soleil, à Martissant ou qu’ils suivent anxieusement les nouvelles depuis Miami ou Montréal. La différence ? Au Salvador, l’État a repris le contrôle.
L’offre de Bukele : « Il faut faire la même chose en Haïti »
Le président salvadorien ne cache pas ses ambitions régionales. « Nous les avons effacés. Il faut faire la même chose en Haïti », a-t-il déclaré, défiant les experts qui prétendaient que les gangs étaient « partie intégrante » de la société salvadorienne.
Cette proposition directe de Bukele – intervenir en Haïti avec l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU et le consentement haïtien – résonne différemment selon qu’on se trouve à Port-au-Prince ou dans la diaspora. Pour les familles haïtiennes qui ont fui la violence, cette possibilité représente peut-être un espoir. Pour d’autres, elle soulève des questions sur la souveraineté nationale.
La diplomatie haïtienne en mouvement
La présence de Leslie Voltaire à San Salvador, accompagné de l’ambassadeur Lionel Delatour, s’inscrit dans une tournée diplomatique qui l’a mené de Colombie au Salvador. Cette offensive diplomatique intervient alors que la Mission multinationale de soutien à la sécurité (MMS) peine à produire les résultats escomptés.
Le Salvador contribue déjà à cette mission avec un contingent et trois hélicoptères dédiés aux évacuations médicales. Mais la rencontre de mardi suggère que les autorités haïtiennes explorent peut-être des options plus ambitieuses, inspirées du « modèle Bukele ».
Un modèle controversé mais efficace
L’approche salvadorienne ne fait pas l’unanimité. Les organisations de droits humains dénoncent les arrestations massives et l’état d’urgence prolongé. Mais pour les Salvadoriens qui peuvent désormais sortir le soir sans crainte, comme pour les nombreux Haïtiens qui rêvent de retrouver cette normalité, les résultats parlent plus fort que les critiques.
Cette réalité divise aussi la diaspora haïtienne. Dans les discussions des centres communautaires de Boston ou les débats des associations haïtiennes de Paris, certains plaident pour des solutions fortes, quitte à accepter des compromis temporaires sur les libertés. D’autres craignent les dérives autoritaires.
Une Mission multinationale à la croisée des chemins
Avec seulement quelques centaines d’agents déployés depuis octobre 2024, la MMS dirigée par le Kenya peine à inverser la tendance. Les gangs contrôlent toujours 60% de Port-au-Prince, et les enlèvements continuent de traumatiser la population.
Dans ce contexte, l’expérience salvadorienne apparaît comme une alternative crédible. Bukele ne demande qu’une chose : que les frais de l’opération soient couverts, contrairement à la MMS qui souffre de sous-financement chronique.
La rencontre de San Salvador pose une question fondamentale : Haïti est-elle prête à accepter des méthodes controversées pour retrouver la paix ? Entre l’échec relatif de la coopération internationale classique et le succès discutable mais réel du « modèle Bukele », les dirigeants haïtiens naviguent en eaux troubles.
Pour vous, Haïtiens d’ici et d’ailleurs, quelle priorité : la sécurité immédiate ou la préservation des libertés démocratiques ? Le débat ne fait que commencer.