Dans un silence assourdissant, la Cour d’appel de Port-au-Prince a été contrainte de déménager une nouvelle fois, s’installant discrètement à Puits Blain après une violente attaque armée. Cette fuite institutionnelle, la deuxième en trois ans, symbolise l’effondrement progressif de l’autorité étatique face au terrorisme des gangs qui transforment la capitale en zone de non-droit.
Une cérémonie dans l’ombre, révélatrice d’un État en déliquescence
Ce qui aurait dû constituer un moment solennel pour l’institution judiciaire s’est transformé en installation clandestine. La relocalisation officielle de la Cour d’appel à Puits Blain s’est déroulée à huis clos, sans couverture médiatique, dans une discrétion qui en dit long sur l’état de délabrement de nos institutions.
« Malgré notre présence sur place, nous avons été empêchés de couvrir la cérémonie inaugurale », témoigne le journaliste Pierre B. Nicolson Delva de Radio Télé Ginen. Cette censure de facto révèle l’embarras des autorités face à une situation qu’elles ne maîtrisent plus.
Pour nos compatriotes de la diaspora qui suivent avec inquiétude l’évolution de la situation sécuritaire, cette opacité institutionnelle rappelle les heures les plus sombres de notre histoire politique. Comment avoir confiance en une justice qui s’installe dans l’ombre, comme une organisation clandestine ?
De Pacot à Puits Blain : l’odyssée tragique de la justice haïtienne
Cette nouvelle fuite fait suite à l’attaque spectaculaire du 10 juin 2022, quand les hommes du redoutable « Izo » et de son gang « 5 Segonn » avaient pris d’assaut le Palais de justice du boulevard Harry Truman. Ce jour-là, juges, greffiers et avocats avaient dû fuir en catastrophe, abandonnant dossiers et bureaux aux mains des criminels.
Contrainte à l’exil, la Cour d’appel avait trouvé refuge temporaire à Pacot, tentant tant bien que mal de maintenir ses activités dans des conditions précaires. Mais même ce repli n’aura pas suffi. Aujourd’hui, pour la deuxième fois en trois ans, cette institution majeure de notre système judiciaire doit à nouveau plier bagages.
Cette errance judiciaire illustre parfaitement la tragédie haïtienne : nos institutions, censées incarner l’autorité de l’État, sont réduites à fuir comme des réfugiés sur leur propre territoire. Une humiliation nationale qui résonne douloureusement chez tous ceux qui croient encore en la possibilité d’un État de droit en Haïti.
L’exode institutionnel : quand l’État abandonne son territoire
La Cour d’appel n’est malheureusement pas un cas isolé dans cette débâcle institutionnelle. Le ministère du Commerce et de l’Industrie, l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), la Caisse d’Assistance Sociale et même les membres du conseil présidentiel de transition ont tous quitté leurs sièges historiques du centre-ville.
Pour les générations d’Haïtiens qui ont grandi en voyant ces bâtiments publics comme des symboles de permanence institutionnelle, leur abandon représente bien plus qu’un simple déménagement. C’est la matérialisation visible de l’effondrement de l’autorité étatique.
Port-au-Prince, capitale fantôme du pouvoir
La métamorphose de Port-au-Prince est saisissante. Cette ville qui fut pendant des siècles le cœur battant du pouvoir haïtien se transforme progressivement en no man’s land institutionnel. Les grands boulevards qui abritaient ministères et tribunaux sont désormais aux mains des gangs armés.
« Quand la justice elle-même est contrainte à l’exil, c’est tout l’édifice démocratique qui vacille », confie un juriste sous anonymat. Cette phrase résume parfaitement le drame que vit notre pays : comment peut-on parler d’État de droit quand la justice n’a plus de lieu fixe ?
Cette situation rappelle tristement les périodes les plus chaotiques de notre histoire, quand les autorités étaient contraintes de gouverner en nomades sur leur propre territoire.
La presse aussi dans le viseur des terroristes
L’offensive des gangs ne vise pas seulement les institutions étatiques. Les médias, piliers de la démocratie, subissent également leurs assauts. Radio Télé Caraïbe et Radio Mélodie ont vu leurs locaux attaqués et partiellement détruits, privant la population d’informations cruciales.
Cette stratégie terroriste vise clairement à créer un black-out informatif total. En s’attaquant simultanément aux institutions et aux médias, les gangs tentent de créer un vide absolu de pouvoir légitime. Une tactique qui rappelle malheureusement les pires heures de certains conflits internationaux.
Pour nos journalistes qui risquent quotidiennement leur vie pour informer, ces attaques représentent une escalade inquiétante vers un totalitarisme de fait imposé par les armes.
L’urgence d’une réaction nationale
Face à cette décomposition accélérée de l’État, l’urgence n’est plus aux demi-mesures. Quand les institutions fondamentales de la République sont contraintes à l’errance permanente, c’est l’existence même de la nation haïtienne qui est menacée.
Cette situation interpelle particulièrement nos compatriotes de l’étranger qui observent avec angoisse la transformation de leur pays d’origine en territoire sans loi. Leurs envois de fonds, leurs investissements potentiels, leurs projets de retour, tout est compromis par cette anarchie institutionnelle.
Un sursaut est-il encore possible ?
Alors que la justice s’installe pour la deuxième fois en exil et que l’État continue sa fuite en avant, une question lancinante se pose : jusqu’où ira cette décomposition ? Combien de fois nos institutions devront-elles encore déménager avant qu’une réaction efficace ne soit enfin organisée ?
Car au-delà des bâtiments désertés et des cérémonies clandestines, c’est la confiance du peuple haïtien en ses institutions qui s’effondre chaque jour un peu plus. Et sans cette confiance, aucune reconstruction n’est possible.
Il est urgent que tous les Haïtiens de bonne volonté, d’ici et d’ailleurs, se mobilisent pour exiger des solutions concrètes. Car si nous laissons nos institutions continuer leur errance, c’est Haïti elle-même qui risque de disparaître en tant qu’État souverain.