Dans un pays où les hôpitaux ferment ou brûlent, une lueur d’espoir brille aux Gonaïves. L’Hôpital La Providence, jadis fleuron de la médecine moderne puis victime de la mauvaise gouvernance, reprend vie sous une nouvelle direction. Un symbole de renaissance qui pourrait inspirer tout le système de santé haïtien.
Aux Gonaïves, sous le soleil de plomb de ce samedi 24 mai 2025, se joue peut-être l’avenir de la santé publique haïtienne. Loin des hôpitaux vandalisés de Port-au-Prince, loin du chaos sécuritaire qui paralyse la capitale, l’Hôpital La Providence écrit une histoire différente. Une histoire de renaissance après la chute.
Car oui, cet imposant bâtiment aux allures modernes a connu ses heures sombres. Entre 2017 et aujourd’hui, il a incarné tout ce qui ne va pas en Haïti : un potentiel énorme gâché par la cupidité et l’incompétence.
Un bijou technologique laissé à l’abandon
Imaginez la frustration : un scanner dernier cri jamais utilisé, un centre de dialyse parmi les plus avancés du pays mais vide, des chambres climatisées qui restent inoccupées, un système de 750 panneaux solaires sabordé par des vols. L’Hôpital La Providence concentrait en son sein tout le drame haïtien : « des potentialités noyées dans la mauvaise gouvernance ».
Walner Odigé Dorsaint, chef du service logistique et témoin de cette déchéance, se souvient avec amertume : « Entre l’inauguration en 2014 et 2017, l’hôpital fonctionnait très bien avec un standard international. » À l’époque, une équipe canadienne veillait au grain, plaçant le bien-être des patients au centre du projet. Les lits ne désemplissaient pas, les malades venaient de tout le grand Nord.
Puis vint 2017, le départ des Canadiens et le début d’une gestion exclusivement haïtienne qui a tourné au cauchemar. « L’appât du gain a remplacé les patients sur la liste des priorités », déplore Dorsaint. La population a perdu confiance, les malades ont fui, l’hôpital s’est vidé.
Le réveil d’un géant endormi
Mais voilà qu’aujourd’hui, le vent tourne. Sous l’impulsion du ministre de la Santé Dr Bertrand Sinal et du directeur sanitaire de l’Artibonite Dr Francito Datus, l’hôpital reprend des couleurs. « Des salles qui étaient fermées sont rouvertes, les patients reviennent en grand nombre », se réjouit Dorsaint.
Le Dr Exène Joseph, directeur exécutif de l’établissement, ne cache pas ses ambitions. Sept grands services fonctionnent déjà : médecine interne, pédiatrie, néonatologie, maternité, chirurgie, orthopédie et urgences. De nouveaux services ont été rendus fonctionnels : urgences pédiatriques, ORL, pavillon de soins continus spécialisés.
Des ambitions universitaires dans un contexte de crise
L’objectif est clair : faire de La Providence un hôpital universitaire, un centre de référence national. Dans un pays où l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti peine à fonctionner, où l’Hôpital général ferme régulièrement ses portes, cette ambition prend des allures révolutionnaires.
« L’Hôpital La Providence peut servir de référence pour la formation médicale », assure le Dr Datus. « Il peut offrir des stages cliniques, des formations spécialisées et des programmes de mentorat pour les étudiants en médecine. » Une perspective qui fait saliver nos compatriotes médecins de la diaspora, souvent formés à l’étranger faute d’infrastructures adéquates au pays.
Le recrutement est en cours : chirurgiens, gynécologues, internistes, pédiatres. « L’objectif est de faire de cet hôpital un modèle de soins intégrés, avec un accent sur la prévention, la recherche et l’innovation », promet le directeur départemental.
Les défis d’une renaissance
Mais la route vers l’excellence reste semée d’embûches. L’électricité 24h/24 reste un défi, l’hôpital n’a ni ambulance ni véhicule de service. La gestion des équipements biomédicaux sophistiqués pose problème faute de techniciens qualifiés. Et comme toujours en Haïti, le financement reste le nerf de la guerre.
Ces obstacles ne découragent pas la nouvelle équipe. Dans un contexte où Port-au-Prince suffoque sous la violence des gangs, les Gonaïves pourraient bien devenir le nouveau poumon médical du pays. Pour nos compatriotes du Nord qui n’osent plus descendre dans la capitale, c’est une bouffée d’oxygène.
Un modèle pour tout le pays ?
L’histoire de La Providence dépasse le cadre médical. C’est celle d’un pays qui apprend de ses erreurs, qui refuse la fatalité. Après des années de gabegie, voilà qu’une nouvelle génération de gestionnaires tente de redonner ses lettres de noblesse au service public.
« Le bon fonctionnement de l’Hôpital La Providence est crucial pour le pays aujourd’hui », martèle le Dr Datus. En cette période de crise multidimensionnelle, cet hôpital peut « jouer un rôle clé dans la gestion des urgences et des épidémies et épargner des dépenses inutiles aux familles ».
Pour la diaspora médicale haïtienne, souvent tentée par l’exil définitif, La Providence pourrait redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une raison de croire en l’avenir médical d’Haïti.
L’Hôpital La Providence des Gonaïves nous rappelle une vérité fondamentale : Haïti a les moyens de ses ambitions quand la bonne volonté remplace la cupidité. Cette renaissance hospitalière arrive à point nommé, alors que Port-au-Prince sombre dans le chaos. Les Gonaïves peuvent-elles redevenir ce qu’elles étaient au temps de l’Indépendance : un phare qui guide la nation ? L’avenir de la santé publique haïtienne se joue peut-être là-bas, loin des projecteurs de la capitale. Et si c’était ça, le vrai changement ?