Le mythique palace de Port-au-Prince, témoin de l’histoire d’Haïti depuis la fin du XIXe siècle, a été détruit samedi soir dans un incendie criminel attribué à la coalition Viv Ansanm. Une perte irréparable qui bouleverse les Haïtiens d’ici et d’ailleurs.
C’est avec le cœur lourd que nous apprenons la destruction de l’un des joyaux les plus précieux de notre patrimoine national. Samedi 5 juillet au soir, l’Hôtel Oloffson, cette institution centenaire qui a vu défiler l’élite mondiale dans ses salons, n’est plus qu’un tas de cendres fumantes à Carrefour-Feuilles.
Un témoin privilégié de l’histoire haïtienne
Construit à la fin du XIXe siècle par la famille Sam – dont deux membres ont dirigé notre pays – l’Oloffson était bien plus qu’un simple hôtel. Cette majestueuse demeure de style gingerbread gothique a traversé toutes les époques de notre histoire moderne. Résidence privée à ses débuts, hôpital militaire pendant l’occupation américaine, puis hôtel de prestige à partir de 1935, chaque pierre de ce bâtiment racontait un chapitre de notre passé.
Pour les Haïtiens de la diaspora, l’Oloffson représentait un pont entre leur pays d’origine et leur nouveau foyer. Combien de nos compatriotes établis à Miami, New York ou Montréal ont-ils rêvé de fouler à nouveau ces planchers qui ont accueilli Graham Greene, l’auteur des « Comédiens » ? Combien ont-ils espéré y ramener leurs enfants nés à l’étranger pour leur montrer cette vitrine de la culture haïtienne ?
Quand la musique se mêlait à la magie
Les années 1990 marquent l’âge d’or moderne de l’Oloffson sous la direction de Richard A. Morse, ce musicien blanc-américain tombé amoureux d’Haïti au point d’en faire sa seconde patrie. Avec son groupe RAM, il transforme l’hôtel en un laboratoire culturel unique au monde, où les rythmes vodou rencontrent le rock, où les traditions ancestrales dialoguent avec la modernité.
Qui n’a jamais entendu parler des soirées légendaires de l’Oloffson, où se côtoyaient touristes aventuriers, intellectuels haïtiens et artistes internationaux ? Ces murs ont résonné des chants sacrés du vodou autant que des accords de guitare électrique, créant cette alchimie si particulière qui fait la richesse de notre culture.
Une résistance qui force l’admiration
Même le terrible séisme du 12 janvier 2010 – cette date gravée dans le cœur de tous les Haïtiens – n’avait pas réussi à abattre l’Oloffson. Alors que Port-au-Prince gisait sous les décombres, l’hôtel avait résisté et s’était immédiatement transformé en centre d’accueil et de solidarité. Cette capacité de résistance et de réinvention, n’est-ce pas là l’essence même du peuple haïtien ?
Hélas, ce que la nature n’avait pas réussi à détruire, la violence aveugle d’hommes armés l’a anéanti en quelques heures. Selon plusieurs sources locales, cet incendie criminel serait l’œuvre de membres de la coalition Viv Ansanm, qui semble prendre un malin plaisir à s’attaquer aux symboles de notre identité nationale.
Un patrimoine qui s’effrite sous nos yeux
La destruction de l’Oloffson s’inscrit dans une dynamique inquiétante de ciblage systématique de nos institutions culturelles et historiques. Après les attaques contre des radios, des écoles et des centres religieux, voici que nos monuments historiques deviennent des cibles privilégiées.
Pour nos frères et sœurs de la diaspora, cette nouvelle est d’autant plus douloureuse qu’elle symbolise la rupture d’un lien tangible avec le pays natal. L’Oloffson était ce lieu mythique où l’on pouvait encore sentir battre le cœur culturel d’Haïti, où l’on pouvait toucher du doigt cette grandeur passée qui nous rend si fiers d’être haïtiens.
L’urgence d’une mobilisation collective
Face à cette tragédie, une question brûlante se pose : que restera-t-il de notre patrimoine si nous laissons faire ? Nos palais, nos monuments, nos lieux de mémoire disparaissent un à un, emportant avec eux des pans entiers de notre histoire collective.
Il est temps que nous, Haïtiens d’ici et d’ailleurs, nous mobilisions pour sauver ce qui peut encore l’être. Nos compatriotes de la diaspora, qui ont souvent les moyens et les réseaux internationaux, doivent se joindre à ceux qui luttent sur le terrain pour préserver notre héritage culturel.
La disparition de l’Oloffson nous rappelle cruellement que notre patrimoine n’est pas éternel. Chaque jour qui passe sans action concrète, c’est un peu plus de notre âme collective qui s’évapore. Sommes-nous prêts à laisser les générations futures hériter d’un pays vidé de ses repères historiques et culturels ?