Un rapport de l’ONU révèle l’ampleur de la décomposition de l’État haïtien. Trafic d’armes, corruption policière, extorsion au port, exploitation des civelles : les gangs ont créé leur propre économie parallèle. Pour les familles haïtiennes d’ici et d’ailleurs, ce document confirme leurs pires craintes.
Imaginez que votre famille à Delmas doive payer 1 000 dollars d’extorsion pour qu’un conteneur de nourriture arrive au port de Port-au-Prince. Imaginez que des policiers censés protéger vos proches vendent des munitions aux mêmes bandits qui terrorisent vos quartiers. Imaginez que même les anguilles de nos côtes soient devenues une source de profit pour les criminels. Ce n’est plus de la fiction : c’est la réalité haïtienne dépeinte dans le dernier rapport du Groupe d’experts des Nations Unies, un document qui fait froid dans le dos.
Quand les forces de l’ordre alimentent l’insécurité
Le rapport révèle une réalité que beaucoup soupçonnaient : la corruption gangrène la Police nationale d’Haïti (PNH) jusqu’à ses racines. Le 31 octobre 2024, un officier affecté au Palais national a été intercepté avec près de 2 700 cartouches destinées au gang Kraché Difé. Quelques jours plus tard, un autre policier était arrêté avec 2 400 munitions, obtenues grâce à sa compagne travaillant à l’armurerie centrale.
Ces incidents ne sont pas isolés. Ils révèlent un système où ceux qui devraient protéger la population participent activement à son oppression. Pour nos compatriotes qui vivent au quotidien sous la menace des gangs, cette trahison représente un coup de poignard dans le dos.
En 2024, la PNH a certes saisi 155 armes de poing, 77 fusils et 15 fusils de chasse. Mais face à l’arsenal des gangs, ces saisies ressemblent à des gouttes d’eau dans l’océan. Pire encore, certaines armes confisquées sont des « armes fantômes » sans numéro de série, impossible à tracer.
La frontière : une passoire pour les armes
La frontière avec la République dominicaine continue d’être le talon d’Achille de la sécurité haïtienne. En juillet 2024, 5 000 cartouches provenant de la police dominicaine ont été saisies à Mirebalais, détournées par un réseau corrompu. Au total, plus de 900 000 articles, dont plusieurs centaines de milliers de munitions, ont été déclarés manquants.
Cette porosité frontalière n’est pas nouvelle, mais elle prend aujourd’hui des proportions dramatiques. Chaque arme qui traverse cette frontière peut coûter la vie à des innocents dans nos quartiers.
Quand les civelles deviennent de l’or noir
Qui aurait imaginé que nos modestes anguilles juvéniles, les civelles, deviendraient une source de conflit ? Les gangs ont compris la valeur de ces petits poissons très prisés sur le marché international et en ont fait leur chasse gardée.
Le 7 juillet 2024, des membres du gang 400 Mawozo ont intercepté deux commerçants transportant trois caisses de civelles vers Port-au-Prince, les contraignant à payer 900 dollars pour poursuivre leur route. Cette histoire, qui pourrait sembler anecdotique, illustre parfaitement comment les criminels s’emparent de toutes les ressources du pays.
Plus troublant encore : Haïti, qui ne fait pas partie de la Convention CITES, n’a aucune régulation efficace sur ce commerce. Des opérateurs privés, parfois liés aux gangs, ont créé leur propre système de licences, verrouillant l’accès à l’exportation.
Le port de Port-au-Prince : le cœur économique pris en otage
Le port de Port-au-Prince, poumon économique du pays, est devenu le symbole de l’impuissance de l’État. En janvier 2025, les frais d’extorsion exigés par les gangs de La Saline et Wharf Jérémie ont grimpé de 300 à plus de 1 000 dollars par conteneur.
Cette escalade a provoqué des pénuries et privé l’État de recettes douanières estimées à 500 millions de gourdes par jour. Quand le chef de gang Micanor menace de fermer le port, c’est tout le pays qui retient son souffle. Cette situation rappelle douloureusement à nos familles en diaspora pourquoi l’envoi d’un simple colis devient un parcours du combattant.
La corruption au sommet : quand l’État se saborde
Comme si la situation n’était pas assez grave, le rapport évoque des cas de corruption au plus haut niveau. Trois membres du Conseil présidentiel de transition sont accusés d’avoir exigé un pot-de-vin de 100 millions de gourdes au directeur de la Banque nationale de crédit.
Malgré les mandats de comparution émis par la justice, ces responsables courent toujours. Cette impunité au sommet envoie un message désastreux : même ceux qui dirigent le pays peuvent voler en toute tranquillité.
Les ambassades : un problème dans le problème
Le rapport souligne également que certaines missions diplomatiques importent des armes sans autorisation, prétextant la protection de leur personnel. Ces ambassades font appel à des sociétés de sécurité privées peu encadrées, créant un facteur de risque supplémentaire dans un pays déjà saturé d’armes.
Un État fantôme face à des gangs bien réels
Ce rapport de l’ONU n’apprend rien de nouveau à ceux qui vivent la réalité haïtienne au quotidien. Il confirme simplement ce que tout le monde sait : l’État haïtien a abdiqué ses responsabilités, laissant le champ libre aux criminels.
Pendant que les institutions sombrent, les gangs créent leur propre économie : ils taxent les civelles, extorquent au port, achètent des armes à des policiers corrompus et prospèrent sur les ruines d’un pays qu’ils contribuent à détruire.
Au final, ce rapport onusien dresse le portrait d’un pays où les citoyens sont abandonnés à leur sort. Pour nos compatriotes de la diaspora qui envoient de l’argent pour nourrir leurs familles, qui rêvent de rentrer au pays ou qui simplement veulent comprendre pourquoi leur terre natale sombre dans le chaos, ce document apporte des réponses amères. Haïti ne traverse pas une simple crise : elle vit une mutation où l’État s’efface pour laisser place à une République des gangs. La question n’est plus de savoir si cette situation peut empirer, mais plutôt combien de temps il faudra pour que quelqu’un, quelque part, décide enfin de dire « ça suffit ».