L’Organisation des Nations Unies met le doigt sur une plaie béante de la gouvernance haïtienne : trois membres du Conseil Présidentiel de Transition, accusés d’avoir exigé 750 000 dollars de pot-de-vin, continuent d’exercer leurs fonctions malgré les accusations. Un rapport qui relance le débat sur l’impunité au sommet de l’État.

Dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, le Groupe d’experts de l’ONU n’y va pas par quatre chemins. L’organisation internationale pointe du doigt la persistance des flux financiers illicites dans le secteur public haïtien et cite explicitement le cas embarrassant des trois conseillers du CPT : Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin.

Un scandale à 750 000 dollars

Les faits remontent à juillet 2024. Le directeur de la Banque nationale de crédit (BNC), une institution publique, écrit alors au Premier ministre pour dénoncer un chantage. Selon sa lettre, trois membres du Conseil présidentiel de transition lui auraient clairement fait comprendre qu’il devait payer pour conserver son poste. Le montant exigé ? 100 millions de gourdes haïtiennes, soit l’équivalent de 750 000 dollars américains.

Pour de nombreux Haïtiens qui peinent à joindre les deux bouts avec un salaire minimum de 685 gourdes par jour, cette somme représente des décennies de travail. Une réalité qui rend cette affaire d’autant plus révoltante.

La justice face à l’immunité

L’Unité de lutte contre la corruption ne reste pas les bras croisés. En décembre 2024, après enquête, elle recommande l’ouverture de poursuites pénales contre les trois hommes pour abus de pouvoir, pratique de pots-de-vin et corruption. Le juge d’instruction du tribunal de première instance de Port-au-Prince émet alors un mandat de comparution.

Mais c’est là que l’histoire prend une tournure typiquement haïtienne : les trois conseillers refusent purement et simplement de se présenter devant la justice. Leur argument ? Leur statut de conseiller présidentiel les protège.

L’impunité institutionnalisée

Le 19 février 2025, la cour d’appel leur donne raison, jugeant que le tribunal de première instance n’avait pas le pouvoir de les convoquer en raison de leur fonction. Un verdict qui consacre une fois de plus l’impunité au sommet de l’État haïtien.

Une hémorragie qui affaiblit l’État

L’ONU ne se contente pas de pointer ce cas isolé. L’organisation souligne que ces détournements de fonds publics ont des conséquences dramatiques sur la capacité de l’État à répondre aux besoins de base : santé, éducation, services publics.

« Certains agents publics continuent de profiter de leurs fonctions pour détourner des fonds publics à des fins personnelles », dénonce le rapport, qui évoque une douzaine de cas similaires recensés au cours des dix dernières années.

Un message fort de la communauté internationale

En citant explicitement cette affaire dans son rapport au Conseil de sécurité, l’ONU envoie un message clair : la communauté internationale surveille de près la gouvernance haïtienne. Cette mention dans un document officiel de l’ONU ternit davantage l’image du pays sur la scène internationale.

Pour les Haïtiens de la diaspora, cette affaire confirme leurs craintes sur l’état de la gouvernance dans leur pays d’origine. Elle explique aussi pourquoi tant d’entre eux hésitent à investir ou à s’impliquer dans le développement d’Haïti.

Cette affaire illustre parfaitement le cercle vicieux dans lequel se trouve Haïti : comment construire un État fort quand ceux qui sont censés le diriger le pillent impunément ? Alors que le pays traverse une crise multidimensionnelle sans précédent, cette révélation de l’ONU pose une question fondamentale : la transition politique en cours peut-elle vraiment assainir les mœurs politiques haïtiennes ? L’avenir d’Haïti dépendra peut-être de la réponse à cette question.

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