Depuis vendredi dernier, le poste douanier stratégique de Malpasse est aux mains d’hommes armés qui ont chassé les agents de l’État. Au-delà du pillage des marchandises, c’est tout le contrôle frontalier avec la République dominicaine qui s’effondre. Une nouvelle étape dans la décomposition de l’État haïtien.
La frontière haïtiano-dominicaine vient de basculer dans une nouvelle dimension du chaos. Depuis vendredi 23 mai, le poste douanier de Malpasse, point de passage crucial entre les deux pays, est totalement contrôlé par un groupe armé dirigé par un certain « Benbenn », originaire de Fond Parisien.
Cette prise de contrôle ne relève plus du simple banditisme : c’est la substitution pure et simple de l’État par des organisations criminelles qui gèrent désormais un pan entier de l’économie nationale. Pour tous les Haïtiens qui dépendent du commerce frontalier pour survivre, c’est un nouveau coup dur dans une crise déjà dramatique.
Une opération militaire contre l’État
L’attaque s’est déroulée avec une précision qui révèle le niveau d’organisation de ces groupes criminels. Tout a commencé lorsque les douaniers ont saisi trois camions transportant des batteries au lithium, appliquant scrupuleusement les nouvelles directives gouvernementales sur le contrôle des marchandises transitant par la République dominicaine.
La riposte a été immédiate et violente. Les hommes de « Benbenn », se faisant appeler « brigadiers », ont agressé les agents dans l’exercice de leurs fonctions, avant d’investir et de vandaliser complètement les bureaux de la douane. Une scène qui s’est déroulée sous le regard impuissant des agents de la Polifront, illustrant parfaitement l’effondrement des forces de sécurité haïtiennes.
Un péage criminel à la frontière
Depuis cette prise de contrôle, la situation a basculé dans le surréalisme. « Des hommes lourdement armés et très agressifs ont pris position dans les locaux de la douane à Malpasse. Depuis vendredi, ils s’adonnent à une opération de livraison de marchandises. Ils ont installé un poste de péage », révèle une source de l’Administration générale des douanes.
Cette transformation de la douane en « business » criminel rappelle les méthodes mafieuses, mais appliquées cette fois à une infrastructure étatique stratégique. Les vrais douaniers, eux, ne peuvent même plus s’approcher de leur lieu de travail. « Aujourd’hui, la douane n’a aucun contrôle sur ce qui rentre sur le territoire via Malpasse », déplore amèrement la source officielle.
L’économie frontalière sous contrôle criminel
Les conséquences de cette prise de contrôle dépassent largement le cadre local. Malpasse constitue l’un des principaux points de passage commercial entre Haïti et la République dominicaine, un corridor vital pour l’approvisionnement du pays en produits de première nécessité.
En s’emparant des camions de batteries au lithium et d’autres marchandises entreposées, les criminels ne se contentent plus de racketter : ils gèrent directement un pan de l’économie d’importation. Cette évolution marque un saut qualitatif dans la criminalité haïtienne, qui passe du parasitisme économique au contrôle direct des flux commerciaux.
Une frontière devenue passoire
Cette situation met en lumière l’échec des récentes mesures gouvernementales censées mieux contrôler les importations. La circulaire du 25 mars dernier, qui obligeait toutes les marchandises transitant par la République dominicaine à arriver en Haïti par voie maritime, visait justement à éviter ce type de contournement.
Mais comment appliquer une réglementation quand ceux qui sont censés la faire respecter sont chassés par les armes ? Cette question taraude de nombreuses familles haïtiennes, particulièrement celles qui vivent du petit commerce frontalier et qui voient leur gagne-pain tomber entre les mains de criminels.
Un symbole de l’effondrement étatique
Au-delà des aspects économiques, la prise de Malpasse revêt une dimension symbolique majeure. La douane représente l’une des prérogatives les plus fondamentales de la souveraineté étatique : contrôler ses frontières et percevoir les taxes d’importation.
En perdant ce contrôle, l’État haïtien abandonne un autre pan de sa légitimité. Pour les observateurs internationaux comme pour la diaspora haïtienne, ce nouvel épisode confirme l’accélération de la décomposition institutionnelle. Après les commissariats, les hôpitaux et les écoles, ce sont maintenant les postes frontaliers qui tombent aux mains des gangs.
L’impuissance des forces de l’ordre
Le détail le plus glaçant de cette affaire reste peut-être l’attitude des agents de la Polifront, contraints d’assister en spectateurs à l’agression de leurs collègues douaniers. Cette scène résume à elle seule l’état des forces de sécurité haïtiennes : présentes physiquement, mais totalement impuissantes face à la supériorité d’armement des groupes criminels.
Avec la chute de Malpasse, c’est un nouveau verrou qui saute dans la stratégie de résistance de l’État haïtien. Demain, quand d’autres postes frontaliers subiront le même sort, qui contrôlera encore les entrées et sorties du territoire national ? Pour tous les Haïtiens attachés à l’idée d’un État souverain, cette question n’est plus théorique : elle dessine les contours d’un pays en voie de balkanisation totale.