Le gang Kokorat San Ras a semé la terreur dans cette commune qui résistait encore aux groupes armés. Sept morts, des dizaines de blessés : un nouveau chapitre sanglant s’écrit dans l’un des derniers bastions de résistance du département de l’Artibonite.
Kapenyen pleure ses morts. Ce samedi 19 juillet au petit matin, cette localité de l’Artibonite, longtemps considérée comme un refuge face à l’avancée des gangs, a vécu l’une de ses nuits les plus sombres. Le gang Kokorat San Ras a frappé fort, laissant derrière lui sept victimes et une population terrorisée qui se demande désormais si la résistance peut encore tenir.
Une attaque minutieusement orchestrée
Vers une heure du matin, les premiers coups de feu retentissent aux abords de L’Estère. Un signal d’alarme que certains habitants de Kapenyen connaissent bien. Trois heures plus tard, l’offensive se déclenche : des hommes lourdement armés envahissent la zone, semant la mort sur leur passage.
Les victimes ne sont pas des anonymes. Il s’agit de figures connues de la communauté : le houngan Bellard, Edrice, Sourit l’éleveur, Jouvens, Titoutou, Anel et Tony. Sept noms qui s’ajoutent à la longue liste des Haïtiens tombés sous les balles de la violence des gangs.
Pour les familles haïtiennes établies à l’étranger – que ce soit à Miami, Montréal ou Brooklyn – ces nouvelles résonnent avec une douleur particulière. Combien ont encore des proches dans ces zones rurales, ces « lakous » qui constituaient autrefois des havres de paix loin de la capitale ?
La résistance locale face au mur
Ce qui frappe dans cette tragédie, c’est que Kapenyen représentait l’un des derniers bastions de résistance civile dans l’Artibonite. Contrairement à Port-au-Prince où les gangs contrôlent désormais 60% du territoire, certaines communes rurales tentaient encore de s’organiser pour repousser les assaillants.
Mais l’attaque du 19 juillet révèle la fragilité de cette résistance. Si certains membres de la coalition armée locale affirment avoir anticipé l’offensive, force est de constater qu’ils n’ont pu l’empêcher. Leur appel aux chauffeurs de taxi-motos à suspendre leurs activités sur l’axe Desdunes-L’Estère-Gonaïves témoigne d’une stratégie défensive qui peine à contenir l’avancée des criminels.
Un système de santé à bout de souffle
Au-delà du bilan humain immédiat, c’est tout le système de prise en charge qui révèle sa défaillance. Plusieurs blessés graves ont été transportés au centre de santé Saint-Pierre de Desdunes, mais l’insécurité persistante rend les évacuations vers d’autres établissements quasi impossibles.
Cette situation rappelle cruellement celle vécue par de nombreuses familles haïtiennes : l’impossibilité d’accéder aux soins, même en cas d’urgence vitale. Une réalité que connaissent bien les membres de la diaspora qui tentent régulièrement d’organiser des évacuations médicales pour leurs proches restés au pays.
L’État, le grand absent
L’attaque de Kapenyen survient seulement deux jours après l’incendie du commissariat de Marchand-Dessalines par le même gang Kokorat San Ras. Une escalade qui aurait dû déclencher une réponse immédiate des autorités. Pourtant, aucun renfort policier n’a été déployé dans les zones menacées.
Cette absence criante de l’État résonne particulièrement chez les Haïtiens de la diaspora qui, depuis l’étranger, assistent impuissants à la déliquescence de leur pays. Combien d’entre eux continuent d’envoyer des fonds, d’organiser des projets de développement, tout en sachant que l’insécurité peut anéantir leurs efforts du jour au lendemain ?
Une population abandonnée à son sort
La Direction départementale de la police dans l’Artibonite garde un silence assourdissant face à ces événements. Ce mutisme institutionnel, alors que les appels à l’aide se multiplient, illustre parfaitement l’isolement dans lequel se trouvent les populations rurales haïtiennes.
Pour les acteurs de la société civile et les organisations locales, la question n’est plus de savoir si l’État peut rétablir l’ordre, mais plutôt comment les communautés peuvent survivre sans lui.
Le massacre de Kapenyen pose une question douloureuse : jusqu’où les gangs étendront-ils leur emprise sur le territoire national ? Pour les Haïtiens d’ici et d’ailleurs, chaque nouvelle attaque rappelle l’urgence d’une mobilisation collective face à cette tragédie qui n’épargne désormais plus aucune région du pays. Car si Kapenyen peut tomber, quel bastion tiendra encore demain ?