Un carnage d’une rare violence a frappé la paisible localité de Préval dans l’Artibonite ce mardi. Des dizaines de cultivateurs, décrits comme des citoyens respectables, ont été sauvagement exécutés par un groupe d’autodéfense qui était pourtant censé les protéger. Ce drame soulève des questions troublantes sur la dérive de certains mouvements armés dans les zones rurales haïtiennes.
Un après-midi de terreur à Préval
La tranquille localité de Préval, dans la première section communale de Petite-Rivière de l’Artibonite, a vécu un cauchemar mardi 20 mai dans l’après-midi. Des dizaines de paysans ont été sauvagement assassinés par la Coalition, un groupe armé d’autodéfense qui était initialement perçu comme un protecteur de la région.
Selon les témoignages recueillis par les organisations de défense des droits humains présentes sur place, le massacre a été d’une brutalité inouïe. « Le bilan partiel des cadavres déjà trouvés et des blessés graves va au-delà de cinquante victimes », a confié le juriste Pierre Estilus de l’organisation Mouvman Moun, qui suit de près la situation dans la région.
Les détails du carnage sont particulièrement troublants : « La quasi-totalité des personnes tuées l’ont été à coup de machette, la tête coupée, avant d’être empilées ou jetées dans le fleuve Artibonite », précise M. Estilus, décrivant un « carnage indescriptible » qui a frappé des « Prévalois dignes des valeurs morales, connus de tous comme des jeunes respectueux et des notables respectables de la communauté ».
De protecteurs à bourreaux : La dérive tragique de la Coalition
L’ironie tragique de ce massacre réside dans l’identité de ses auteurs. La Coalition, née il y a un peu plus de six ans à Jean-Denis, avait initialement pour mission de contrecarrer les gangs Gran Grif et Kokorat san ras qui terrorisaient les localités voisines. Ce groupe d’autodéfense, qui recrute ses membres dans tout le Bas-Artibonite, jouissait au départ d’un large soutien populaire.
« Dans ses premiers moments, la Coalition était très proche de la population et avait l’appui de membres de la diaspora originaires de la région qui l’ont aidé financièrement », rapportent les journalistes qui ont enquêté sur place. Plus troublant encore, même la Police Nationale d’Haïti et la justice utilisaient les services de ce groupe, témoignant de la confiance institutionnelle dont il bénéficiait.
Cette transformation d’un mouvement d’autodéfense populaire en machine de mort interpelle profondément les observateurs de la situation sécuritaire haïtienne. Comment un groupe censé protéger les populations rurales peut-il se retourner contre elles avec une telle violence ?
Un choc pour la diaspora artibonienne
Pour les membres de la diaspora haïtienne originaires de l’Artibonite, ce massacre représente un choc d’autant plus grand qu’ils avaient soutenu financièrement cette Coalition dans ses débuts. « Nous pensions aider nos frères et sœurs restés au pays à se protéger contre les gangs », confie Marie-Claire Joseph, une infirmière d’origine artibonienne établie à Boston. « Apprendre que nos contributions ont peut-être servi à armer ceux qui ont commis ces atrocités nous brise le cœur. »
Ce drame soulève des questions cruciales sur l’efficacité des mécanismes de contrôle des groupes d’autodéfense et sur les risques inhérents à l’armement de civils, même dans une optique défensive. « Comment faire la différence entre les groupes qui protègent vraiment et ceux qui risquent de déraper ? », s’interroge Jean-Baptiste Moïse, membre d’une association haïtienne de Miami.
L’Artibonite : Grenier d’Haïti sous la menace permanente
Ce massacre s’inscrit dans un contexte plus large d’insécurité chronique qui frappe l’Artibonite, département surnommé le « grenier d’Haïti » en raison de sa production agricole vitale pour l’alimentation nationale. Les paysans de cette région font face à des défis multiples : gangs armés, groupes d’autodéfense incontrôlés, et maintenant la trahison de ceux qui étaient censés les protéger.
« Nos cultivateurs nourrissent le pays, mais qui les nourrit en sécurité ? », s’indigne Rosemarie Délice, agronome originaire de l’Artibonite. « Si les paysans ne peuvent plus travailler leurs terres sans risquer leur vie, c’est toute la sécurité alimentaire nationale qui est menacée. »
L’impact de cette violence sur la production agricole nationale inquiète également les économistes, dans un contexte où Haïti dépend déjà largement des importations alimentaires pour nourrir sa population.
Questions sans réponses
Plusieurs interrogations demeurent sans réponse suite à ce massacre. Quelles sont les motivations réelles qui ont poussé la Coalition à s’attaquer à des cultivateurs paisibles ? S’agit-il d’un conflit foncier, d’une guerre de territoire, ou d’une dérive pure et simple vers la criminalité ?
Les autorités haïtiennes n’ont pas encore réagi officiellement à ce drame, soulevant des questions sur leur capacité ou leur volonté d’enquêter sur ces crimes atroces. L’absence de réaction forte risque d’encourager d’autres groupes armés à commettre des exactions similaires.
Un appel à la justice internationale
Face à l’ampleur de ce massacre et aux défaillances apparentes du système judiciaire national, des voix s’élèvent pour réclamer une intervention de la justice internationale. « Ces crimes contre l’humanité ne peuvent rester impunis », déclare un défenseur des droits humains qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité.
Les organisations internationales de défense des droits humains sont appelées à documenter ces atrocités et à exercer une pression sur les autorités haïtiennes pour qu’une enquête approfondie soit menée et que les responsables soient traduits en justice.
Un deuil national silencieux
Alors que les familles de Préval pleurent leurs morts dans la douleur et la peur, ce massacre résonne comme un nouveau coup porté à l’espoir d’un Haïti paisible et prospère. Pour les millions d’Haïtiens qui rêvent d’un retour aux sources agricoles et d’un développement rural durable, les images de ce carnage rappellent cruellement la fragilité de toute initiative de reconstruction dans un environnement sécuritaire aussi dégradé.
Les corps de ces paysans, jetés dans le fleuve Artibonite qui irrigue les terres qu’ils cultivaient, portent le symbole tragique d’un pays où ceux qui nourrissent la nation sont parfois les premières victimes de la violence aveugle qui la ronge.