365 jours après la disparition de Wens Jonathan Désir en mer, sa famille refuse de tourner la page. Ce mardi, elle a saisi la justice haïtienne pour faire reconnaître officiellement sa disparition et réclamer des réponses à un État qui semble avoir oublié son artiste.
« Kibò peyi sa prale » résonne encore dans les rues de Port-au-Prince, dans les tap-taps de Carrefour et sur les téléphones des jeunes Haïtiens de Brooklyn à Miami. Un an après la disparition de MechansT, cette phrase culte de l’artiste prend une dimension tragique : où va vraiment ce pays quand ses talents s’évaporent dans l’indifférence générale ?
La justice comme dernier recours
Ce mardi 8 juillet 2025, sous le soleil brûlant de Port-au-Prince, Vena et Ernst Désir ont franchi les portes du tribunal de première instance. Accompagnés de leurs avocats Me Lacks Guvens Cadette et Me Jean Fresly, les parents de MechansT ont déposé une requête officielle de déclaration judiciaire de disparition. Une démarche douloureuse mais nécessaire après un an de silence total des autorités.
Dans la cour du tribunal, Ernst Désir, le père, laisse transparaître son émotion : « Se nan Bondye nou kwè. Bondye kapab fè pitit nou tounen vivan. Se li menm sèlman nou mete konfyans nou. » Ces mots, chargés d’espoir et de douleur, résument le combat d’une famille qui refuse de baisser les bras.
Une traversée vers l’inconnu
Le 4 juillet 2024, jour de fête de l’indépendance américaine, MechansT disparaissait au large des Bahamas. L’artiste de 32 ans aurait tenté de rejoindre les États-Unis par voie clandestine, après avoir essuyé plusieurs refus de visa américain – un problème que connaissent bien de nombreux artistes haïtiens et leurs familles dans la diaspora.
Sa dernière trace : près de l’île Abacos, dans des circonstances encore floues. Des rumeurs de naufrage ont circulé, mais aucun lien formel n’a été établi. Depuis, plus rien. Ni appel, ni trace, ni signe de vie. L’enquête des autorités bahaméennes est close depuis des mois, et en Haïti, le silence officiel règne.
L’artiste qui dérangeait autant qu’il fascinait
MechansT, c’était bien plus qu’un rappeur. Né le 27 juin 1992 à Carrefour, Wens Jonathan Désir avait d’abord rêvé de devenir médecin avant de conquérir le cœur de la jeunesse haïtienne avec son « Speed » dans les lyriques et ses punchlines qui claquent. Son style provocateur, sa coupe décolorée emblématique et ses slogans cultes comme « MechansT jiskan Kris pranm » en avaient fait une figure atypique de la scène musicale haïtienne.
Avec 500 000 abonnés sur YouTube et des titres comme « Deux personnages » qui cumulent 2,6 millions de vues, l’artiste avait su parler à sa génération. Ses textes, souvent cash sur la réalité haïtienne, touchaient autant les jeunes de Cité Soleil que ceux de Little Haiti à Miami ou de Montréal-Nord.
Un héritage qui résiste au temps
Son album « À table », sorti en 2023, continue de tourner sur les plateformes de streaming. Ses fans, de Port-au-Prince à Paris, maintiennent sa mémoire vivante sur les réseaux sociaux. Même son père, Ernst Désir, lui a récemment dédié une composition musicale – un cri du cœur qui résonne comme un appel à son fils disparu.
« Pas de cadavre, on ne peut pas dire qu’il est mort », martèle Vena, sa mère, avec cette détermination qui caractérise les mères haïtiennes. Un espoir que partagent ses milliers de fans qui refusent de faire leur deuil.
L’indifférence des autorités en question
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est le silence assourdissant des autorités haïtiennes. Alors que MechansT était l’une des voix les plus écoutées de sa génération, aucun organisme public ne s’est manifesté activement depuis sa disparition. Cette indifférence contraste cruellement avec l’émotion populaire et la mobilisation de ses fans.
La démarche judiciaire de la famille vise aussi à réveiller l’État haïtien et à le pousser à assumer ses responsabilités envers ses citoyens – et particulièrement envers ses artistes qui portent l’image du pays à l’étranger.
Un an après, MechansT reste dans un entre-deux douloureux : ni mort ni vivant officiellement, mais toujours présent dans les cœurs et les playlists. Sa disparition pose une question qui dépasse son cas personnel : comment un pays peut-il espérer retenir ses talents s’il ne sait pas les protéger ? Pour la diaspora haïtienne qui connaît trop bien les dangers de ces traversées clandestines, l’histoire de MechansT résonne comme un avertissement et un appel à ne jamais oublier ceux qui tentent de fuir vers un avenir meilleur.