Fini le chaos urbain dans les rues de Pétion-Ville ! La mairie impose désormais une pause hebdomadaire aux commerçants pour assainir la commune. Une initiative qui divise entre nécessité sanitaire et réalité économique des petits vendeurs.
Depuis deux semaines, Pétion-Ville vit au rythme d’une nouvelle routine : chaque jeudi, les rues se vident de leurs marchands pour laisser place aux équipes de nettoyage municipal.
Ce jeudi 21 août, pour la deuxième fois consécutive, le spectacle habituel des artères embouteillées de Pétion-Ville a cédé place à une chorégraphie inédite : des dizaines d’agents de la voirie, balais en main, accompagnés d’engins lourds, s’activent pour redonner un coup de jeune à cette commune devenue refuge pour de nombreux Haïtiens fuyant l’insécurité.
Une révolution silencieuse dans les rues
L’initiative du maire Kesner Normil ne passe pas inaperçue. Sans décret officiel, mais grâce au bouche-à-oreille et quelques annonces radio, le message est passé : les jeudis sont désormais consacrés au nettoyage, et les commerçants doivent lever le camp.
Au carrefour Lambert-Delmas, point névralgique du commerce informel habituellement saturé de vendeurs et jonché de détritus, la transformation est saisissante. Le maire lui-même supervise l’opération depuis l’arrière d’un véhicule de police, déterminé à ne pas rentrer « tant que toutes les rues ne sont pas nettoyées ».
Cette métamorphose urbaine résulte d’une collaboration entre la mairie, le ministère des Travaux publics et celui de l’Environnement. Une « task force » comme l’appelle fièrement M. Normil, face à un défi de taille : gérer l’explosion démographique de Pétion-Ville, devenue terre d’accueil pour les déplacés internes.
Quand survie économique et hygiène publique s’affrontent
Mais cette belle initiative se heurte à une réalité amère. Malgré les consignes, quelques commerçantes bravent l’interdiction, un petit panier à la main, l’œil aux aguets. Leur dilemme résume celui de milliers d’Haïtiens : « Nous vivons au jour le jour. Si nous ne sortons pas, nous ne mangerons pas », confie l’une d’elles.
Cette détresse n’échappe pas au maire : « Certains ont contracté des prêts à l’usure et doivent aller au marché pour les rembourser. On peut le comprendre », reconnaît-il avec un brin de compassion.
Pourtant, Kesner Normil reste inflexible sur le fond. Sa Brigade d’intervention des rues veille au grain, n’hésitant pas à saisir marchandises et détruire les étals des récalcitrants. « Les trottoirs sont faits pour les piétons », martèle-t-il, assumant cette ligne dure.
L’avenir : des marchés organisés plutôt que l’anarchie des rues
L’objectif à long terme du maire est clair : pousser tous les commerçants vers les marchés couverts plutôt que d’occuper anarchiquement les voies publiques. « Sur la Route de Frères, ils envahissent les rues alors que l’intérieur du marché Kokoye est vide. Ce n’est pas normal », dénonce-t-il.
Cette vision d’une ville organisée, où chacun a sa place définie, séduit sur le papier. Mais elle interpelle également : comment concilier cette modernisation urbaine avec la réalité socio-économique d’une population qui survit grâce au commerce de rue ?
L’initiative de Pétion-Ville pourrait faire école dans d’autres communes haïtiennes confrontées aux mêmes défis d’urbanisation sauvage. Entre pragmatisme sanitaire et impératifs de survie, cette expérience révèle les contradictions d’une société en quête d’équilibre. Reste à savoir si cette révolution du jeudi saura s’adapter aux réalités du quotidien haïtien ou si elle créera de nouvelles tensions sociales dans une commune déjà sous pression.